«Petit paysan» — Pas facile de sauver ses vaches

Un jeune héros solitaire semble porter toute la misère du monde agricole.
Photo: Funfilm Un jeune héros solitaire semble porter toute la misère du monde agricole.

Des cadavres sont éliminés à la faveur de la nuit dans Petit paysan, le premier long métrage aux accents autobiographiques de Hubert Charuel. Or, point de femme fatale, de mari jaloux ou de détective zélé ne cherchant qu’à débusquer la vérité au milieu d’une ville endormie. Le cadre est souvent champêtre et lumineux ; les bruits les plus assourdissants sont ceux du meuglement des vaches et des trayeuses ; les protagonistes font souvent de piètres menteurs, portés davantage par l’amour de leur métier et la nécessité de survivre.

Des craintes légitimes hantent les milieux agricoles partout sur la planète, et la réalité française que décrit Hubert Charuel trouvera sûrement un écho quelque peu douloureux en nos contrées. Au milieu de sa petite ferme laitière, Pierre (Swann Arlaud, agile et concentré comme sur un fil de fer) semble totalement soumis à son troupeau d’une trentaine de prim’Holstein, besognant si fort qu’il en rêve la nuit — le film s’ouvre sur une étonnante séquence qui oscille entre onirisme et réalisme implacable.

Or, ses pires cauchemars se déroulent le jour, entre sa soeur vétérinaire méticuleuse (Sara Giraudeau), sa mère (Isabelle Candelier) jamais loin pour le blâmer ou jouer les entremetteuses auprès d’une boulangère (India Hair) désespérée de se marier, et d’un groupe d’amis dont l’un symbolise l’industrialisation excessive et 2.0 du monde agricole. Mais tout cela n’est rien en comparaison de la découverte d’une vache qui manifeste les signes d’une maladie qui pourrait signifier l’extermination de tout son cheptel par les autorités sanitaires. Ce qui explique sa décision crève-coeur, quasi irrationnelle, de tuer la vache galeuse, croyant ainsi éviter le pire : mal lui en prit…

Monde agricole

 

Ce jeune héros solitaire semble porter toute la misère du monde agricole, uniquement rassuré par la colère d’un fermier belge (Bouli Lanners, émouvant) qui a tout perdu, déversant son désespoir sur la Toile à coups de vidéos vindicatives. Dans une approche esthétique rigoureuse assimilable à celle des frères Dardenne, se tenant au plus près de ce fermier aux abois, Hubert Charuel en traque les moindres sautes d’humeur, la rage contenue, et qui pourrait exploser à tout moment. Le récit disperse ici et là quelques bombes à retardement, grâce à cette multiplication de subterfuges, parfois nauséabonds, pour masquer l’inévitable. Car comme dans tout bon thriller, l’affaire ne tient pas qu’en un seul cadavre camouflé.

Petit paysan ne sacrifie jamais la complexité des personnages, et les enjeux dans lesquels ils sont empêtrés, à des effets spectaculaires pour décupler un climat de tension déjà bien installé. L’économie de moyens, et d’artifices, permet au cinéaste, qui a grandi dans ce monde et qui a pris la ferme familiale comme décor principal, d’aller au coeur de ce drame. C’est celui du démantèlement d’une campagne assiégée par tous les maux de notre époque et dont les paysans sont les victimes, mais pas silencieuses dans Petit paysan.

Petit paysan

Drame de Hubert Charuel. Avec Swann Arlaud, Sara Giraudeau, Isabelle Candelier, Bouli Lanners. France, 2017, 90 minutes.