«Les grands esprits» se rencontrent au FCIAT

Approchant la cinquantaine, le cinéaste Olivier Ayache-Vidal ne pensait pas retourner sur les bancs d’école à son âge. Il l’a pourtant fait pendant trois ans, quotidiennement pendant les premiers mois, et est même allé en voyage scolaire à Londres avec les jeunes d’un lycée de Stains, une commune de la banlieue parisienne multiethnique et défavorisée.
« Je faisais partie des meubles. Je suis même sur la photo de classe », rigole le Français qui a réalisé et scénarisé Les grands esprits, présenté en première nord-américaine au Festival du cinéma international en l’Abitibi-Témiscamingue (FCIAT).
Cette démarche immersive qui l’a mené vers une fiction empreinte de réalisme, Olivier Ayache-Vidal, qui a travaillé partout dans le monde comme photoreporter pour des agences onusiennes et Gamma, y tenait. « C’était un milieu que je ne connaissais pas. Les producteurs sont arrivés avec cette idée et j’ai dit oui, mais à condition que je puisse m’y plonger, car je voulais sortir des clichés de ce qu’on disait de la banlieue, a-t-il expliqué au Devoir. J’étais assis en classe avec eux, j’allais partout, je voyais les gamins faire des trucs drôles, je posais des questions aux profs… J’ai adoré être là-bas. C’est comme un retour vers le futur en ce sens que je me revoyais en classe, je suivais les cours, mais je n’avais pas à les faire. »
Les « gamins » au coeur
Dans cette fiction qui sort en salle au Québec le 3 novembre, l’école est donc le théâtre et les élèves, les acteurs incarnant tous les défis et les espoirs de ce milieu. Enseignant les lettres dans le prestigieux lycée Henri-IV de Paris, François Foucault — brillant Denis Podalydès — est muté dans une école de banlieue où ses méthodes rigides et intransigeantes n’ont aucune prise sur les élèves qu’il compte mettre à sa main et faire changer. Mais en bout de piste, c’est plutôt lui qui changera au contact des élèves.
« En France, les profs étudient leur matière mais ne font pas de pédagogie. Ils ne savent pas qu’il faut donner confiance à leurs élèves. Ça ne marche pas, leur taper dessus », soutient le réalisateur, qui a fait une incursion dans le monde de la bande dessinée et a également réalisé plusieurs courts métrages, dont Undercover, présenté au FCIAT il y a quelques années. « Ils veulent être élevés, les gamins », ajoute-t-il avec beaucoup de tendresse à leur égard.
Ce « luxe du temps » lui a permis de voir des choses que personne ne voit, pas même les profs qui ne savent pas ce qui se passe dans les autres cours. « Dans le métier d’éducation nationale, personne ne prend le temps de faire ce qu’a fait Olivier. Un inspecteur va venir tous les cinq ans pour évaluer un prof, et encore », confirme François Petit-Perrin, un enseignant du lycée qui fait quelques apparitions dans le film.
Le cinéaste a quant à lui trouvé que l’école publique française d’aujourd’hui est bien plus « dure » et exigeante qu’à son époque. « En France, il y a 17 000 exclusions définitives par année. C’est 100 par jour de classe, s’étonne-t-il. On dirait qu’il y a tout le temps des conseils de discipline. »
Humour et esprit
Si la France avait déjà donné dans le genre « prof qui galère avec des élèves de banlieue » — l’excellent Entre les murs(Palme d’or à Cannes en 2008) et Les héritiers (2014) —, Olivier Ayache-Vidal dit ne pas avoir cherché à se positionner par rapport à l’un ou l’autre de ces films. « Que des films là-dessus existent ou pas, ça ne m’intéressait pas. J’ai simplement voulu avoir mon point de vue à moi sur cet univers », note-t-il. Avec quel regard ? Celui de l’humour et de l’esprit, dont est effectivement traversé son long métrage. « Les films sur ce sujet ne sont pas drôles du tout, ils sont dramatiques. Mais le collège, c’est joyeux. Les mômes, ils sont à mourir de rire. Ils font des blagues tout le temps. […] Il y a des situations compliquées, oui, dans les familles, mais ce ne sont pas toujours des drames. »
Les pièges et clichés, qui n’ont pas toujours été évités dans ce scénario assez prévisible, s’évaporent presque grâce à la démarche très authentique du cinéaste. « Les profs en France ont vu ce film comme quelque chose d’extrêmement réaliste », dit Ayache-Vidal, qui invite les familles et les enseignants et leurs élèves à aller voir le film. Pour que les beaux esprits finissent par se rencontrer.