Maman est derrière les barreaux

Bien avant l’arrivée des populaires séries portant sur le quotidien des femmes en prison, Unité 9 (2012), Orange Is the New Black (2013) et Wentworth (2013), Léa Pool (Maman est chez le coiffeur, Et au pire, on se mariera) s’est intéressée à la réalité des détenues.
Avant même de se livrer à des recherches sur les conditions d’incarcération, la cinéaste fait deux lectures qui la troublent, celle d’un article sur des femmes accouchant en prison, pieds et poings liés, et celle d’un roman jeunesse de Sylvie Frigon, professeure au Département de criminologie de l’Université d’Ottawa, Ariane et son secret (Remue-ménage, 2010), sur une fillette dont la maman est en prison.
« En découvrant tout le côté caché de ces enfants-là, leur honte, je me suis rendu compte qu’on ne leur avait jamais donné la parole. Personne même ne se demande s’il y a un problème là. En commençant les recherches, j’ai découvert, assez rapidement, qu’il y avait de plus en plus de femmes en prison et que 80 % d’entre elles étaient mères », se souvient Léa Pool, dont certains amis enseignent à des enfants privés de leur mère qui purge une peine en prison.
Pour le documentaire Double peine, Léa Pool s’est rendue auprès d’enfants de détenues du Népal, du Québec, des États-Unis et de la Bolivie : « La mère, c’est vraiment le chez-soi. On le voit bien dans le segment sur la Bolivie ; une intervenante y dit que, même si les enfants habitent en prison, ils se sentent à la maison parce qu’ils vivent avec leur mère. Je suis très sensible au sort des enfants. Quand j’ai produit le documentaire de Paul Arcand, Les voleurs d’enfance, je me disais qu’en 2005, tout allait bien pour les enfants. Eh bien, on s’aperçoit que c’est un problème que l’on rencontre partout dans le monde », raconte la productrice Denise Robert.
Changer le monde
Afin de relier entre elles les histoires de ces enfants, Léa Pool partage des extraits de la charte des droits spéciale créée par des enfants de parents de prisonniers de San Francisco, en 2005, laquelle comporte des demandes qui sont fondamentales.
« Avec ce qui se passe en ce moment avec les cas d’agressions sexuelles, on se dit qu’il y a une volonté de changement, mais qu’en est-il des droits des enfants ? Qu’est-ce que ça va prendre pour qu’on y voie, qu’on y apporte un changement ? Je pense que les films servent à sensibiliser non seulement le public, mais les politiciens. Quand Léa m’a proposé Double peine, j’étais immédiatement partie prenante tellement c’est un sujet qui porte à réflexion », poursuit la productrice.
« Je me demandais ce qui avait été changé au niveau légal pour donner une chance à ces femmes et, surtout, à ces enfants afin que le lien ne soit pas coupé. Je me suis rendu compte que pas grand-chose n’avait été fait, sauf certains organismes très en périphérie, non gouvernementaux, presque bénévoles, qui essaient de maintenir un lien entre les mères et leurs enfants, dont le travail est remarqué par les prisons », confie la réalisatrice.
Grâce à ces organismes, Léa Pool a pu rencontrer des enfants dont la mère est derrière les barreaux. Dans Double peine, elle les présente lors d’événements festifs ; la fête des Mères en Bolivie, Noël au Québec, la fête des Lumières au Népal et une remise de diplômes aux États-Unis. Lors de ces moments tendres et joyeux, mères et enfants oublient qu’ils sont en détention.
« À travers toutes les entrevues au Népal, au Québec, aux États-Unis et en Bolivie, ce qui ressort, c’est, qu’elle soit criminelle ou non, une mère reste une mère préoccupée par l’avenir de ses enfants. Ces mères-là ne souhaitent pas que leurs enfants suivent leurs traces. Et on le voit très bien, dans le segment québécois, que les enfants ne répètent pas nécessairement le pattern », affirme Denise Robert.
Enseignante à la base, Léa Pool n’a pas son pareil pour amener le spectateur dans l’univers des enfants. Dans ce cadre-ci, elle fait preuve du même tact, de la même sensibilité pour l’entraîner dans un monde méconnu sans porter de jugement.
« Dans un cadre protégé, n’importe quelle mère a droit à un lien privilégié avec son enfant. Ce qui importait, c’était de donner la parole aux enfants. Même si je connais les raisons de détention de leurs mères, je ne voulais pas les dévoiler dans le film afin de ne pas biaiser le sujet. Beaucoup de ces mères sont en fait des victimes, mais ça, c’est un autre sujet… », conclut la cinéaste.
En salles le 3 novembre