La rage agitée de Darren Aronofsky

Détesté par les uns, défendu par les autres, au TIFF comme à la Mostra de Venise, Mother !, de Darren Aronofsky, divise. On parle de production d’horreur fantastique poussée à ses extrêmes limites : âmes sensibles s’abstenir ! Vraiment jouissif dans le genre, et porté par une caméra et un montage d’une hardiesse et d’une force inouïes. On l’appuie.
« Le film vient avec un avertissement, admet son cinéaste. Allez le voir si vous voulez quelque chose de vraiment différent. Dites aux gens qu’il s’agit d’une expérience avant tout. Mon film en est un de rage agitée. »
Métaphore de la destruction d’un couple et de la société, dénonciation des mirages de la gloire qui enivre : l’Amérique est en implosion au TIFF cette année.
Le cinéaste de Black Swan est accompagné de Jennifer Lawrence, sa compagne de vie, qui vole devant nous au secours de Mother !.
« Si tu comprends l’allégorie du film, ça devient puissant et génial. Je ne le vois pas comme une arnaque du tout… mais tu devrais faire une comédie », lance-t-elle à son compagnon.
Il dit voir son Mother ! comme une comédie noire. Question de point de vue…
On y voit plutôt une plongée dans un univers digne des pires cauchemars de l’écrivain H. P. Lovecraft, un puzzle d’enfer, propulsé par une incroyable énergie, entraînant le spectateur dans des montagnes russes de vertige.
La maison qui palpite
Au centre : Jennifer Lawrence, la douce épouse quasi servante, et Javier Bardem, écrivain égocentrique d’âge mûr qui n’a que faire des états d’âme de sa compagne. La vraie héroïne, cependant, est cette maison, immense, qui se transforme à mesure que des intrus viennent briser le nid d’amour de l’hôtesse.
Lawrence est captée en gros plans dans son intériorité inquiète. Michelle Pfeiffer incarne avec un aplomb sans faille une glaciale méchante qui envahit les lieux avec sa famille sans foi ni loi. Bardem fait du Bardem, plus macho que nature.
Le film vient avec un avertissement : allez le voir si vous voulez quelque chose de vraiment différent. Dites aux gens qu’il s’agit d’une expérience avant tout. Mon film en est un de rage agitée.
Plus le mari écrivain ouvre la porte à ses fans, plus leur domaine se détruit ; des organes saignants font battre le pouls de la maison, des hordes d’admirateurs détruisent tout. La caméra s’affole et égare les repères visuels.
« C’est un film sur la mère qui nous a donné la vie, source de l’humanité, et sur un mariage entre un homme plus âgé et une jeune femme, qui se décompose, précise Aronofsky. Je voulais réaliser une oeuvre unique qui va trop loin. On se plaint que tous les films se ressemblent. Pas celui-ci. » Il a raison.
Parmi les autres titres au menu du TIFF, un film rempli de charme : The Florida Project,de Sean Baker, autre métaphore du rêve américain englouti, à hauteur d’enfants cette fois. À Orlando, près du domaine Disney, dans un motel miteux aux faux airs de château, une bande d’enfants fait des coups pendables, sous le regard mi-attendri, mi-exaspéré du tendre gérant (Willem Dafoe, très juste).
La petite Brooklynn Prince, en enfant dotée d’une mère adorable mais prostituée à ses heures, plus infantile qu’elle, se révèle un talent naturel à surveiller. Le rêve pur kitsch s’écroule, mais pas pour la petite héroïne : la merveilleuse finale embrasse tous les possibles. Ce film devrait plaire. On suivra son cheminement.
Odile Tremblay est à Toronto à l’invitation du festival.