Hochelaga au TIFF

Pour la première fois, un long métrage historique au Québec donne la vedette à toutes les nations impliquées, sans parti pris ethnocentriste avec une vraie envergure.
Bon, il y a eu un cafouillage autour de cette histoire d’embargo critique après la première montréalaise d’Hochelaga : Terre des âmes mercredi dernier, afin que la vraie première se déroule au festival de Toronto.
François Girard assure comprendre la grogne des journalistes. « Le TIFF a resserré ses critères, explique le cinéaste. On voulait que le film soit d’abord projeté à Montréal. Il aborde l’histoire de la ville. » La Société du 375e de Montréal a mis de l’argent dans cette grosse production de 15 millions en plus…
Toronto qui présente pour la cinquième fois un ses films en projection de gala est un festival cher à son coeur. « Et c’est ici que sont les acheteurs internationaux… »
Dans la magnifique salle du Roy Thompson Hall, samedi soir, case idéale, François Girard rendait hommage à Piers Handling, le directeur du TIFF bientôt démissionnaire, au maire Denis Coderre aussi, présent également. « Il a tellement poussé le projet. Au TIFF on se bat contre les films à vedettes, et nous voici dans ce cinéma ce soir… »
François Girard précise que son but ultime, par-delà faire recette, serait de voir Hochelaga s’inscrire dans la durée. « Si on en parle encore dans vingt ans, j’aurai remporté mon pari. »
De souffle et de réconciliation
Hochelaga : Terre des âmes, fresque sur Montréal, son passé, son présent, mariés en plusieurs époques et langues croisées : latin, l’algonquin, le Mohawk, anglais, français, vieux-français, un peu de créole et d’arabe, est une oeuvre de souffle et de réconciliation.
Un beau film arrimé à une structure complexe, plongeant dans la mémoire autochtone, francophone, anglophone aussi. Tout cela sur fond de quête de l’emplacement d’Hochelaga, sur laquelle tous les archéologues se sont cassé les dents.
« J’ai le privilège de la fiction, rappelle le scénariste cinéaste. Situer le village d’Hochelaga au pied du Mont-Royal était plausible et me permettait de faire le lien avec le stade de baseball, où un affaissement de terrain révèle dans l’action un site archéologique. Ce trou est une métaphore de notre trou de mémoire. On vit dans une culture de déficit d’attention. »
Pour la première fois, un long métrage historique au Québec donne la vedette à toutes les nations impliquées, sans parti pris ethnocentriste avec une vraie envergure. Les rituels chamaniques (authentiques) d’un territoire sans Blancs, l’amitié de certains anglophones avec les patriotes, les unions des colons français et des Amérindiennes en Nouvelle France, émergent des fouilles d’un jeune archéologue mohawk (Samian, formidable) qui ausculte le trou pour découvrir les secrets enfouis de ses ancêtres.
On a droit à des images magnifiques, beaucoup d’effets spéciaux : 200 plans sur 600 ou 700 environs (parfois trop apparents), une impressionnante structure scénaristique. « La caméra de Nicolas Bolduc bouge tout le temps. C’est très chorégraphié », évoque François Girard.
Un plateau difficile : « Des scènes d’hiver tournées en été, de multiples décors qui ne servaient qu’une fois, car ensuite on passait à autre chose. Ça haussait le budget. »
Depuis le temps que le cinéaste du Violon rouge tournait ailleurs, il rêvait de ce film québécois depuis dix ans. Le producteur Roger Frappier l’avait en tête aussi. « Cette écriture-là m’a demandé plus de travail que tous mes scénarios réunis », assure François Girard.
L’anthropologue Serge Bouchard a beaucoup poussé la roue, également des archéologues, des historiens. Girard a lu, consulté, travaillé avec une doctorante pour retrouver le français de l’époque.
« Le journal de Jacques Cartier, notre premier document historique, était très précis sur le déroulement de sa visite à Hochelaga, mais pas sur l’emplacement. »
Difficile pour les acteurs du film de s’en acquitter avec parfait naturel, mais pour une fois qu’on ressuscite les mots du XVIe siècle, dont l’amusant « chattemitte » pour hypocrite… ça valait le coup de s’y frotter.
Le comédien suisse Vincent Perez qui tient le rôle de Jacques Cartier n’en revenait pas que ce genre de films soit une première chez nous. « Il est vrai qu’en France, on est forts aussi pour balayer des segments d’histoire… » Il s’avouait fou de joie d’avoir joué avec des acteurs des Premières Nations. « Un rêve d’enfant. J’aimerais que le film soit distribué en France. Ils découvriraient là-bas les origines de l’histoire du Québec dont ils n’ont pas conscience. Un passé occulté. »
Une reconnaissance des peuples autochtones
Le cinéaste est conscient de s’inscrire dans la mouvance d’un respect des apports autochtones. « Le documentaire L’empreinte a réveillé beaucoup de monde. Quand j’ai débuté mon scénario, il n’y avait rien de tout ça. Tant mieux si on avance dans la même direction. J’ai fait ce film pour retrouver mes racines et ce faisant, je retrouvais aussi celles de bien d’autres. Je me connais mieux. Je nous connais mieux. »
Il trouve qu’on vit encore les séquelles de la Crise d’Oka. « Les rapports entre les Québécois et les Mohawks s’en ressentent. Mais j’ai eu l’appui de Wahiakeron Gilbert qui s’est donné pour mission de faire renaître la langue Mohawk et qui traduisait les dialogues. Il joue le chef Tennawake dans le film. » Ce dernier affirme connaître de l’intérieur les long houses et parler le Mohawk de haut niveau pour les rituels.
Raoul Trujillo (acteur américain apache qui joue le prophète) avait fait des recherches sur les rites amérindiens de son côté, mises aussi à profit.
Samian refuse de prendre le crédit du premier rôle dans Hochelaga : « Je suis un narrateur au même titre que le Prophète : un archéologue de 2017 qui raconte une plongée dans un trou. Mon beau-père est archéologue. Il m’a aussi guidé. Tous les archéologues du film sont des vrais et connaissent la façon de creuser. »
Ce film-là, le chanteur comédien algonquin en rêvait depuis longtemps. « J’avais hâte qu’un cinéaste d’envergure s’attaque à un sujet comme ça en fiction. Ce film est une vraie reconnaissance des peuples autochtones. »
« Les Amérindiens de mon film sont tous de vrais Autochtones, venus de partout, précise François Girard. Ils étaient 300 dans la scène de la fête de Jacques Cartier. Et ça a viré en vraie fête, même entre membres de communautés qui ne se fréquentent pas. L’esprit était formidable. Les gens s’approprient le film… »