«The Beekeeper and His Son» – Des abeilles et des hommes

Peu intéressé par les rudiments du métier, Maofu essaie plutôt de rendre l’apiculture plus lucrative.
Photo: Mira Films Peu intéressé par les rudiments du métier, Maofu essaie plutôt de rendre l’apiculture plus lucrative.

Le sort des abeilles et celui de l’humanité sont-ils à ce point liés ? Posez la question à n’importe quel scientifique sérieux et il vous répondra par l’affirmative. Vieil homme de peu de mots, Lao Yu pense exactement la même chose, l’exprimant surtout à travers sa mine sombre et les rituels de son travail d’apiculteur dans un petit village du nord de la Chine.

En compagnie de sa famille, il a accepté de bonne grâce d’être observé pendant près d’une année par la cinéaste Diedie Weng. Elle voulait saisir toutes les nuances d’une longue tradition, surtout au moment d’une importante passation des pouvoirs entre Lao Yu et son fils Maofu, dans la jeune vingtaine, de retour après un séjour de travail et d’études en ville.

The Beekeeper and His Son : le titre illustre déjà le clivage profond qui existe entre ces deux êtres qui, on le découvre rapidement, partagent peu de choses, et surtout pas la passion de l’apiculture. Il suffit de voir Maofu rivé à son téléphone ou plongé dans ses livres de marketing pour comprendre à quel point il regrette sa vie urbaine, là où il lui était facile de voir ses amis, et de trouver une copine sur Internet…

Cet environnement austère, fragile devant les caprices et les dérèglements de la nature, est agrémenté d’un charmant bestiaire : deux oies, deux chiens, des poules et des cochons traversent constamment le décor, mais font bien plus que cela. À la fois éponges et caisses de résonance, ces animaux semblent en phase avec les humeurs et les rivalités d’un père et de son fils ; ils se font parfois réconfortants, parfois agités, tout cela sous le regard un peu triste de Niang, la mère, médiatrice patentée.

Peu intéressé par les rudiments d’un métier humble et exigeant, Maofu essaie plutôt de rendre cette tradition plus lucrative, cherchant à convertir aux bienfaits du libre marché un homme au soir de sa vie. Une affiche à l’effigie de Mao Tsé-Toung dans la modeste demeure de l’apiculteur en dit pourtant beaucoup sur ses convictions, nullement impressionné qu’il est par celles de son fils, oscillant entre les réprimandes violentes et un lourd silence accusateur.

Cet immense fossé représente pour la cinéaste une métaphore éloquente sur la Chine d’aujourd’hui, écartelée entre son histoire plusieurs fois millénaire et un présent voué au développement économique — certains diront jusqu’à l’autodestruction. C’est d’ailleurs ce qui inquiète Lao Yu, sans bien sûr le dire avec éloquence, qui voit ses ruches devenir des mausolées, retirant patiemment les larves parasites installées effrontément dans les alvéoles.

Cinéaste ayant grandi dans le sud de la Chine, partageant son temps entre le Canada, les États-Unis et la Suisse, Diedie Weng ne pouvait qu’être fascinée par ces tiraillements posant la question fondamentale, et universelle, de la transmission des traditions, mais aussi, et surtout, celle des valeurs. En nos contrées ou en pleine campagne chinoise, ces enjeux sont cruciaux et se résument parfois en de tristes dialogues de sourds où même les animaux domestiques en ressentent les violentes vibrations.

The Beekeeper and His Son

★★★

Documentaire de Diedie Weng. Suisse-Canada, 2016, 85 minutes.