«Chuck»: une vie comme un film dans un film

La relation entre Phyllis et Chuck génère tension dramatique et émotions. La chimie manifeste que partagent Moss et Schreiber y est pour beaucoup.
Photo: Entract Films La relation entre Phyllis et Chuck génère tension dramatique et émotions. La chimie manifeste que partagent Moss et Schreiber y est pour beaucoup.

Atteindre la célébrité constitue le but ultime de bien du monde. S’il est exacerbé en cette ère de réseaux sociaux et de réalité-spectacle, ce fantasme ne date pas d’hier. On pense au cinéma et à ses aspirantes stars n’ayant jamais pu assouvir leur désir d’être magnifiées par la caméra, voire au théâtre, bien avant, avec ses projecteurs tout-puissants. Le boxeur Chuck Wepner rêvait de gloire, et pas que des quinze minutes promises à tous par Andy Warhol. Philippe Falardeau relate son histoire sous cet angle dans Chuck, un choix éclairé, puisque voilà un homme qui aurait plus que tout voulu vivre sa vie comme dans un film.

La gloire, la vraie, Chuck faillit la connaître deux fois plutôt qu’une, devenant célèbre brièvement, puis retournant à l’anonymat. Sa première chance se manifesta sous la forme d’un combat inespéré contre Mohammed Ali, en 1975, qu’il perdit, non sans avoir gagné le respect de la foule. Vint ensuite le film Rocky, dont la prémisse s’inspirait dudit combat. Surnommé « le vrai Rocky », Chuck se croyait mûr pour Hollywood avec un coup de pouce de Sylvester Stallone. Hélas, de frasques en dépendance, il s’autosabota, une habitude, hélas.

Il en alla en effet de même dans sa vie personnelle, d’abord avec sa première épouse, Phyllis, qu’il adorait mais trompait à répétition, puis avec leur fille Kimberley une fois celle-ci devenue grande, et dont il voulait être aimé sans lui accorder d’attention en retour.

Le film explore à fond le narcissisme de Chuck, qui jaillit à la surface puis contamine toutes les sphères de son existence dès lors qu’une certaine renommée lui est acquise.

Numéros d’acteurs

Or, ce qui est formidable avec le film de Philippe Falardeau, c’est que malgré le sentiment de réprobation qu’inspire Chuck, on ne peut s’empêcher d’éprouver un attachement immédiat et profond envers lui. L’absence totale de condescendance dans le regard que le cinéaste pose sur le protagoniste, qu’il ne ménage pas pour autant, contribue certainement à faciliter ce rapport d’empathie.

Il y a cela, et aussi l’interprétation conquérante de Liev Schreiber, comédien doué qui, bien que très intense, parvient sans peine à laisser entrevoir les différentes facettes de Chuck, être tour à tour irrésistible et insupportable.

La vedette est entourée d’une excellente distribution au sein de laquelle se démarquent Elisabeth Moss et Naomi Watts, première et seconde conjointes de Chuck. La première y va d’une interprétation très étoffée, toute en nuances subtiles, tandis que la seconde, qui canalise une énergie similaire à celle de son personnage de St-Vincent, évolue à l’autre extrémité du spectre avec une « grosse » performance qui, dans le contexte, fonctionne parfaitement.

Cet humour-là

Le scénario de Jerry Stahl et Jeff Feuerzeig perd un peu de son tonus au troisième acte, surtout si on le compare au premier, vraiment habile dans sa présentation de Chuck et de son entourage. Puissant ancrage émotionnel aux beaux comme aux mauvais jours, la relation entre Phyllis et Chuck fait ombrage au reste tant elle génère tension dramatique et émotions. La chimie manifeste que partagent Moss et Schreiber y est pour beaucoup.

 

À la mise en scène, Philippe Falardeau règle le mouvement d’ensemble en fonction de l’état d’esprit de son antihéros, le rythme s’accélérant et la technique devenant plus exubérante alors que Chuck chemine, puis s’enfarge, sur la route du succès, avec au bout une jolie rédemption qu’on évoque sans l’appuyer.

Juste, la reconstitution d’époque se déploie avec l’inclusion d’images d’archives intégrées de manière habile (beau travail de Nicolas Bolduc à la direction photo), parfois pince-sans-rire.

À cet égard, Falardeau ne perd jamais ce sens de l’humour si particulier, souvent basé sur des observations de moeurs inusitées ou étonnantes, qui caractérise son travail. Il en résulte, comme auparavant dans La moitié gauche du frigo, Monsieur Lazhar ou encore C’est pas moi, je le jure, un autre portrait humain et amusé tout à la fois.

Chuck (V.O. et V.F.)

★★★ 1/2

Drame biographique de Philippe Falardeau. Avec Liev Schreiber, Elisabeth Moss, Naomi Watts, Ron Perlman. États-Unis, 2016, 98 minutes.