Avec «Chuck», Philippe Falardeau raconte la vie du boxeur qui inspira «Rocky»

Le film Chuck, de Philippe Falardeau, revient sur un moment clé de la vie de Chuck Wepner, un boxeur dont le combat contre Mohammed Ali inspira à Sylvester Stallone l’un des personnages les plus mémorables du cinéma. Or, comme le rappelle le cinéaste québécois, la vraie vie n’a ici rien à envier à la fiction.
Le 24 mars 1975, Chuck Wepner se retrouva sur le ring face à Mohammed Ali. Tout le monde s’entendait pour dire qu’il se ferait mettre au tapis illico. Wepner ne remporta pas ce match très médiatisé, mais il se révéla un adversaire coriace et gagna le respect de la foule, devenant une légende vivante dans son New Jersey natal. L’année suivante parut le film Rocky, que Sylvester Stallone reconnut alors avoir écrit en se basant en partie sur Chuck Wepner. Chuck, le film de Philippe Falardeau, revient sur ces événements en examinant leurs conséquences.
« Aujourd’hui, on vit dans une société obsédée par le vedettariat : la célébrité des autres ou celle qu’on essaie de se construire pour soi-même, note Philippe Falardeau. On espère devenir connu, avoir ses quinze minutes de gloire sur Instagram, Facebook ou YouTube. »
Être connu parce qu’on est connu, en somme. « Exactement. Et Wepner nourrissait ce désir-là, mais à une époque où les réseaux sociaux n’existaient pas, ou la téléréalité n’existait pas. Il fallait accomplir quelque chose d’assez exceptionnel, comme son combat contre Ali, pour accéder à la célébrité. Cette célébrité-là n’était pas dangereuse. C’est un peu plus tard, lors de la sortie du film Rocky, que ça s’est gâté. De penser qu’une image de soi-même fabriquée à Hollywood, c’est toi, de recevoir tout cet amour d’inconnus, un amour qui souvent n’en est pas parce qu’intéressé : quand c’est ça ton carburant existentiel, ça ne va pas. »
Un film émouvant et truculent
Ce qui a le plus fasciné Philippe Falardeau toutefois, c’est qu’en dépit du narcissisme exacerbé de Wepner, il ne pouvait s’empêcher de le trouver touchant. Et très charismatique.
« Il trompait sa femme à répétition, mais j’ai découvert qu’il lui écrivait constamment des poèmes : j’ai voulu mettre ça dans le film, pas pour le justifier, ce que je n’essaie jamais de faire, je pense, mais plutôt parce que c’est tellement incongru de la part d’un homme comme lui. Je ne crois pas que j’aurais fait le film si Wepner n’avait pas gardé une part de mystère à mes yeux. »
Une part de mystère, donc, qui a engendré un film tour à tour émouvant et truculent, jamais ennuyant. Chuck rappelle en outre, si besoin était, combien débrouillard et imaginatif sait se montrer Philippe Falardeau. Reproduire le New Jersey des années 1970, mais aussi la scène de la boxe professionnelle d’alors, avec un budget de 5 millions de dollars ? Le cinéaste y est parvenu avec brio.
Prenez sa manière ingénieuse d’intégrer des images d’archives qui, d’une part, créent l’illusion d’une reconstitution historique plus vaste, et, d’autre part, campent le film dans un contexte esthétique « 1970’s » crédible, et non fétichisé.
« Le procédé devait être intrinsèque, et non avoir l’air d’une béquille visuelle, faute de moyens. Et il fallait que ce soit ludique, comme convention. C’est pour ça qu’on voit au début des images du vrai Chuck qui s’entraîne, pour ensuite passer à Liev Schreiber qui l’interprète. » Habile, le clin d’oeil résume tout le drame de l’ancien pugiliste qui aurait voulu vivre sa vie comme au cinéma.

La cerise sur le gâteau
Après que Philippe Falardeau eut manifesté son intérêt, c’est le même Liev Schreiber, aussi producteur, qui a tranché.
« Il a adoré Monsieur Lazhar. Lors de notre première rencontre, il m’a dit : “Sur papier, tu n’es pas le bon candidat parce que Chuck se déroule dans un milieu de cols bleus du New Jersey alors que toi tu es un intello, canadien-français…” Mais justement, mon statut d’outsider garantissait selon lui une vision dénuée de complaisance sur le sujet et le milieu. »
Investi, Schreiber livre l’interprétation impressionnante qu’on est en droit d’attendre de la vedette de la série Ray Donovan. Tête d’affiche du récent succès de Hulu The Handmaid’s Tale, Elisabeth Moss brille également dans le rôle de Phyllis, à l’instar de Naomi Watts (Mulholland Drive) dans celui de Linda, première et seconde épouses de Wepner, respectivement. Toutes deux partagent une chimie palpable avec Schreiber, ce qui facilite l’adhésion à un récit volontiers rocambolesque.
« Elisabeth, ç’a été la cerise sur le gâteau. C’est une soie. Je veux retravailler avec elle absolument. Naomi, c’est un caméléon. Elle s’est bien amusée avec l’accent de Brooklyn. Elle faisait partie de la distribution depuis longtemps — Liev et elle formaient à l’époque un couple. » Un couple qui s’est dissous en plein tournage sans que cela affecte le jeu des partenaires ou leur attirance mutuelle à l’écran.
Une vraie tendance
Fait à signaler, c’est la deuxième fois que Philippe Falardeau travaille à partir de faits vécus après son premier film américain Le beau mensonge (The Good Lie), sur le parcours de jeunes réfugiés soudanais. Et c’est sans compter C’est pas moi, je le jure, tiré de romans en partie autobiographiques de Bruno Hébert… Une tendance ?
Philippe Falardeau sourit. « Je viens de terminer l’écriture d’un film pour Kim McCraw et Luc Déry de micro_scope : My Salinger Year. C’est à propos d’une jeune femme embauchée par un éditeur pour gérer le courrier des fans adressé à J.D. Salinger. »
Sa tâche consiste à renvoyer aux lecteurs une missive préécrite leur expliquant que Salinger, figure mystérieuse s’il en est, ne prendra jamais connaissance de leurs lettres. Désobéissant à la consigne, elle répondra personnellement à certains.
Oui, il s’agit d’une histoire vraie.
Avec l’accord de Rocky
