«Le dernier métro», de François Truffaut

L’affiche originale du film «Le dernier métro» de François Truffaut
Photo: Gaumont L’affiche originale du film «Le dernier métro» de François Truffaut

Vous êtes tombé dessus par hasard à la télévision ou l’avez choisi par dépit au club vidéo. À l’inverse, vous avez ardemment attendu sa sortie au cinéma. Vous savez, ce film qui vous a marqué.

Tout dépendant du contexte, qu’il s’agisse de l’âge ou de l’état d’esprit dans lequel on se trouve, il arrive qu’un film se révèle être plus qu’un film. Sa découverte devient une rencontre qui transforme à jamais la perception que l’on avait jusque-là du cinéma. Stéphane Hardy vécut un tel moment charnière en se glissant par hasard, et sans billet, dans une salle où l’on projetait Le dernier métro, de François Truffaut.

Paris, sous l’Occupation nazie : au théâtre Montmartre, on répète une nouvelle pièce, car il faut bien distraire le public inquiet. Vedette des planches et désormais directrice de l’établissement, Marion Steiner (Catherine Deneuve) veille au grain en l’absence de son mari Lucas, un juif qui a dû fuir la France (Heinz Bennent).

Du moins est-ce là ce que les époux font croire.

Dans les faits, Lucas se cache au sous-sol du théâtre et écoute avec attention tout ce qui se passe sur scène. C’est ainsi qu’un jour, il comprend que sa femme s’est éprise de son partenaire, Bernard Granger, jeune premier membre de la Résistance (Gérard Depardieu).

Pas un film « poche »

« Ainsi, mon souvenir se situe aux alentours de 1980, plus ou moins au moment de la sortie du film. J’ai 15 ans, et je vais au cinéma voir des films de mon âge, à savoir des films d’ados, commerciaux, pour la plupart made in USA. À cette époque, je vais aux vues exclusivement en gang d’amis, et nous visitons les nouveaux cinémas multisalles.

L’avantage des multisalles résidait dans le fait que l’on pouvait aisément changer de salle, histoire de visionner plusieurs films. Étudiants et sans le sou, nous maximisions par le fait même notre prix d’entrée, et souvent, la quantité primait la qualité.

Gérard Depardieu et Catherine Deneuve dans «Le dernier métro»

Toujours est-il qu’un bon samedi matin, nous nous dirigeons vers le cinéma Berri-5. Après un ou deux films dont je ne me rappelle aucunement les titres, le temps est venu de changer de salle, aussi descendons-nous au sous-sol où se trouve une plus petite salle : la numéro 5. À l’affiche : Le dernier métro, de François Truffaut.

Mes amis ne veulent pas entrer voir un film “poche” français. Moi, je ne sais pas trop pourquoi, je veux y aller. Je m’engouffre donc dans la salle 5, seul, en ignorant encore que je vais découvrir LE cinéma.

J’ignore si c’est l’émotion que j’ai vécue en regardant le film ou si c’est le fait de m’être momentanément affranchi de ma gang de chums, il reste que cette journée de 1980 a changé pour toujours ma façon de voir les films. J’ai compris que ceux-ci pouvaient être davantage qu’un divertissement ou une enfilade d’images ; qu’ils avaient le pouvoir de me procurer des émotions.

Sans ce visionnement du Dernier métro, je ne serais pas devenu le cinéphile que je suis aujourd’hui. »

Deux qui font un

 

Dix-neuvième long métrage de François Truffaut, qui n’en tournera que deux autres, Le dernier métro naquit d’un désir de raconter deux histoires : la première située durant l’Occupation, et la seconde campée dans le monde du théâtre. Finalement, Truffaut les fusionna. Au décès du cinéaste en 1984, la revue L’Avant-Scène cinéma reproduisit une partie des écrits de Truffaut à propos du film.

« En écrivant, avec Suzanne Schiffman, le scénario du Dernier métro, mon intention était de faire pour le théâtre ce que j’avais fait pour le cinéma avec La nuit américaine : la chronique d’une troupe au travail, dans un cadre respectant les unités de lieu, de temps et d’action […] Je me suis demandé : que se serait-il passé si, par amour pour sa femme, un directeur juif avait fait semblant de fuir la France et était resté dans la cave de son théâtre pendant toute la guerre ? Pour inventée qu’elle fût, la donnée n’était pas invraisemblable, puisque le musicien Kosma, le décorateur Trauner ont connu cette situation, travaillant clandestinement sous de faux noms, par exemple pour les films de Marcel Carné », put-on notamment lire.

La consécration

 

Pour Truffaut, Le dernier métro fut le film de la consécration absolue avec pas moins de dix prix César, dont ceux du meilleur film, de la meilleure réalisation, du meilleur scénario original, de la meilleure actrice et du meilleur acteur. Ce fut également la rencontre au sommet de deux des plus grandes stars de l’histoire du cinéma français : Deneuve et Depardieu, qui s’entendirent merveilleusement et furent par la suite souvent réunis (Le choix des armes, Les temps qui changent, Potiche, entre autres).

Après La sirène du Mississippi, Catherine Deneuve était ravie de retrouver le metteur en scène. Au journal Le Matin, elle confia en 1980 :

« [Truffaut] a surtout cette incomparable manière de vous impressionner par son sérieux, sa rigueur, sa passion. Travailler sous sa direction, c’est se sentir investie ! Il sait vous contraindre, vous retenir dans le jeu, vous empêcher de tomber dans un fouillis d’expressions sous prétexte d’émotions à faire passer. »

Un autoportrait

 

En apparence plus classique, voire plus commercial, que d’autres titres d’une filmographie entrée dans la légende avec l’autobiographique Les 400 coups, Le dernier métro est en réalité un film très proche de ce qu’était Truffaut. De résumer Guillemette Odicino dans Télérama :

« Au-delà de son merveilleux sens du détail [la vie d’une troupe, le marché noir, les femmes qui, à la place des bas, hors de prix, se teignent les jambes, couture comprise…], ce “ gros film” tourné en studio sous la lumière stylisée et théâtrale de Nestor Almendros reste surtout, aujourd’hui, un fascinant autoportrait déguisé de Truffaut lui-même : un homme à deux visages, autour d’une figure féminine centrale, la belle Marion Steiner [Deneuve, dure et douce, distante et proche]. Il est à la fois le comédien Bernard Granger [Depardieu, enfantin et charnel], cet homme qui aime les femmes et pénètre, dès le début, dans le théâtre en draguant Arlette, la costumière. Il est aussi Lucas Steiner, le metteur en scène juif caché dans la cave [Heinz Bennent, enfantin et cérébral] qui écoute les répétitions de sa pièce par un soupirail. À la fin, Marion salue le public en donnant la main aux deux hommes. Aux deux faces, donc, de François. »

 

 

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