Amandine Gay: parle avec elles

Fatiguée de la discrimination dont elle faisait l’objet en France, Amandine Gay a immigré il y a environ un an et demi au Québec.
Photo: Christin Bela Fatiguée de la discrimination dont elle faisait l’objet en France, Amandine Gay a immigré il y a environ un an et demi au Québec.

Vingt-quatre femmes, issues de milieux différents, alternent à l’écran. Leur point commun : être noires et se sentir invisibles dans la société européenne. Rencontre avec Amandine Gay, Française installée à Montréal, qui donne toute la place à celles que l’on voit si peu dans «Ouvrir la voix», un film-témoignage éclairant que l’on pourra voir à la Maison d’Haïti ce vendredi.

Toucher les cheveux d’une personne qu’on ne connaît pas, ça ne se fait pas. Pourtant, les femmes noires ont presque toutes une anecdote frustrante liée à ce geste inconvenant. « Bon, depuis, il y a eu la chanson de Solange, Don’t Touch My Hair, qui fait comprendre aux gens [la portée de cette intrusion], commente la militante afro-féministe Amandine Gay, jointe par téléphone lors de la tournée européenne du film. Mais ça fait longtemps que c’est une expérience partagée. » Et se faire comparer à une panthère, à un félin, dans une allégorie sexuelle au goût douteux ? La majorité des jeunes femmes noires connaissent bien.

Partant de ce type d’expériences individuelles partagées, Ouvrir la voix articule une prise de parole puissante. Et si le propos concerne la France et la Belgique, il peut facilement être transposé à la réalité québécoise, croit sa réalisatrice, qui a d’ailleurs choisi Montréal comme ville d’accueil.

Fatiguée de lutter contre les discriminations dont elle faisait l’objet en France, Mme Gay a immigré il y a environ un an et demi. « Je ne voudrais pas qu’on présente le Québec comme un lieu sans racisme, commente-t-elle. Le sentiment de frustration est souvent le même, c’est juste que le degré de violence envers les femmes noires n’est pas égal. Ça se voit surtout dans les interactions, certaines choses qui ne se disent pas ou ne se font pas au Québec, alors qu’en France les gens n’auront pas de mal [à les faire]. On peut dire que les gens sont hypocrites ou n’aiment pas l’affrontement. Mais je crois qu’il n’y a pas ce racisme décomplexé qu’on peut trouver en France. »

Plusieurs fronts

 

Ce que Mme Gay a voulu faire avec son documentaire, c’est entamer un dialogue sur plusieurs axes. D’abord, en faisant prendre conscience du rapport de pouvoir entre Blancs et personnes racisées. « C’est le privilège de l’innocence de sa couleur ! Il faut rappeler au groupe majoritaire que ce n’est pas parce qu’il est majoritaire qu’il est neutre. Au contraire, c’est la norme, c’est le pouvoir. »

Il est aussi important de poser des questions sur les tabous au sein des communautés afros, croit la réalisatrice. Plusieurs femmes, à l’écran, parlent avec fatigue de leur rapport aux hommes noirs.

Le film se place au croisement des prises de position de chacune. « Je ne choisis pas un jour de me lever et d’être noire, ou femme, ou pansexuelle. Je suis tous les jours tout ça. On ne peut pas me demander de choisir une lutte — enfin, on peut bien me le demander, mais je refuse — qui prédomine sur l’autre, car à tel ou tel moment de ma vie, je ne peux pas dire si je suis discriminée plus pour l’une ou l’autre de ces choses qui sont autant de composantes de mon identité. »

Être présente

 

C’est là toute la délicatesse d’Ouvrir la voix. Une chorale de voix qui ont vécu les mêmes choses, malgré leurs différences en tant que femmes, amoureuses, amies, travailleuses, croyantes, mères. « L’individualité des femmes noires, on ne la retrouve absolument pas dans le monde audiovisuel, et même dans l’inconscient collectif, clame l’universitaire. Nous sommes constamment présentées comme un groupe homogène, constitué des Noirs en général, puis d’un sous-groupe de ce groupe, les femmes noires. On parle même parfois de “la” femme noire, alors là ! »

Les personnes interrogées commencent par raconter le moment où elles se sont rendu compte de leur condition. L’une, c’était dans la cour d’école de la maternelle, où d’autres enfants ne voulaient pas jouer avec elle. Une autre, c’était en essuyant un commentaire méprisant dans la rue. Puis une autre a compris dès la garderie que les petites filles noires prenaient leur repas après les Blanches. « Le film a plusieurs axes, mais le plus important, c’est de se rendre compte que ce qu’on a le plus en commun, c’est l’expérience minoritaire. »

Fatiguée que les Noires soient réduites à une façade, Amandine Gay propose une réappropriation de la narration. « Ce n’est jamais nous qui avons le contrôle de notre propre vie. On parle à notre place, à travers des experts blancs, des sociologues, des professeurs hommes, qui vont venir décrypter notre expérience. Alors qu’en fait, je voulais montrer, dans une grande conversation avec plein de femmes noires, qu’on n’a pas besoin de ça. »

Ouvrir la voix

Un documentaire d’Amandine Gay à l’Espace Koudjay de la Maison d’Haïti. En présence de la réalisatrice, vendredi, 17 h 30.

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