

L'éclatement identitaire
En portant à l’écran la vie et l’oeuvre de Nelly Arcan, Anne Émond s’est frottée aux multiples facettes de son sujet.
En portant à l’écran la vie et l’oeuvre de Nelly Arcan, Anne Émond s’est frottée aux multiples facettes de son sujet. Or, en essayant de mettre en lumière l’identité de la défunte auteure, la cinéaste s’est trouvée à explorer, incidemment, celle du Québec. D’autres films d’ici (voir encadré) reprendront ledit thème au cours des prochains mois, le micro renvoyant volontiers au macro.
« J’ai créé Nelly pour protéger Isabelle, mais ç’a eu l’effet contraire. » Triste bilan que dresse la protagoniste du film Nelly, librement inspiré de la vie et de l’oeuvre de Nelly Arcan, née Isabelle Fortier. Entre introspection créatrice et ruminations maladives, Nelly se cherche, tour à tour amoureuse junkie, prostituée de luxe, écrivaine angoissée et célébrité névrosée. Son drame ? Une conscience aiguë de soi, mais une incapacité d’être.
« D’abord, j’ai relu tous ses écrits, explique Anne Émond. Puis, j’ai rencontré sa famille, des amis, des ex… J’ai dû montrer patte blanche, faire comprendre que mes intentions étaient nobles. J’ai vite constaté que tous n’avaient pas connu la même Nelly Arcan, la même Isabelle Fortier. Ce qui ne m’a pas empêchée, dans un premier temps, d’écrire un scénario de biopic très classique. Je ne l’ai jamais aimé. Ce n’était pas à la hauteur du chaos de la vie de Nelly. »
Le résultat confirme, si besoin était après les excellents Nuit #1 et Les êtres chers, qu’Anne Émond est une cinéaste de substance capable d’adapter fond et forme aux impératifs de chaque projet.
C’est en repensant à ce constat, que Nelly Arcan modulait la personnalité qu’elle projetait selon le moment et la personne devant elle, que la cinéaste a compris qu’elle tenait sa clef de voûte dramaturgique. Impossible, du reste, de raconter de manière conventionnelle une nature si atypique.
« Exactement. J’ai donc choisi de la montrer par le biais de différentes facettes, comme autant de personnages qu’elle jouait en toute connaissance de cause. Elle a écrit là-dessus. Elle a écrit pourquoi. »
Anne Émond a de surcroît eu une idée judicieuse quant à la construction de sa protagoniste démultipliée.
« J’ai intégré des vies d’autres femmes, d’autres artistes brûlées par leur art et par leurs obsessions, comme Amy Winehouse, Marilyn Monroe, Virginia Woolf et Sylvia Platt, dans une moindre mesure. »
Une coiffure, une robe, une pensée…
Ce parti pris a séduit Mylène Mackay, vue dans Endorphine d’André Turpin et Embrasse-moi comme tu m’aimes d’André Forcier. C’est à elle qu’a échu la tâche ardue d’incarner l’insaisissable Nelly.
« Le scénario d’Anne [Émond] transcende la seule existence de Nelly, en ce sens qu’en parlant d’une femme, il parle de toutes les femmes. J’y vois un voyage au coeur de la psyché féminine. On est enfermé dans la tête d’une femme qui souffre de sa condition de femme, qui souffre de son désir de plaire, d’être parfaite — prostituée parfaite, auteure parfaite, amoureuse parfaite. Elle est en outre constamment entre deux pôles : elle veut le succès, mais elle n’arrive pas à le supporter lorsqu’elle l’obtient. Ça la consume. »
Ce rapport de fascination et de révulsion à l’égard du succès, pour le compte, n’est-il pas éminemment québécois ? « Bien sûr : cette envie d’être sous les projecteurs, mais ce malaise dès qu’on s’y retrouve. Les meilleurs s’en vont… On les regarde aller d’ici et on est fier d’eux, mais s’ils se plantent, on n’est pas mécontent. Et Nelly y a goûté. On n’a pas été tendre avec elle. »
Ça ne date pas d’hier. On entend résonner les paroles de Félix : « le plaisir de l’un, c’est de voir l’autre se casser le cou ».
Pour la cinéaste et son interprète, la création de Nelly Arcan était intimement liée à sa douleur. « Elle était brillante, réitère Mylène Mackay. Ça me fait de la peine qu’elle ne soit pas arrivée à mettre uniquement son intellect en avant, sa force d’écriture, son incomparable lucidité. Il y avait toujours cette obsession du corps et de la beauté qui venait faire écran, cette “burqa de chair” qu’elle a nommée avec tellement de justesse. Elle était toujours honnête lorsqu’il s’agissait de nommer son mal, mais ça ne suffisait pas à l’en guérir. Elle connaissait ses démons et disait : “Les voici, ils sont sur la table.” Tandis que la plupart des gens passent leur vie à les cacher. »
Et de renchérir Anne Émond : « Ses romans, c’est de l’autofiction : c’est plein de vérité et c’est plein d’invention, de son propre aveu. C’était une artiste. Elle a fantasmé une partie de sa vie. D’où, encore, cette approche éclatée. C’est mon film le plus cérébral, par choix, par… cohérence, j’imagine. Car un des aspects fondamentaux qui sont ressortis de mes recherches, c’est cette impression de froideur de Nelly vis-à-vis d’elle-même. Elle se regardait de haut, mais elle se scrutait ; rien ne lui échappait. C’est comme si elle était… proche et distanciée, en même temps. Ça devait être intenable. »
Pouvait-elle faire autrement, pour survivre, que de devenir son propre sujet ?
« Je ressens encore des émotions contradictoires par rapport au rôle, admet Mylène Mackay. Comme un mélange de lumière, celle qui accompagne ce premier grand rôle pour moi, et de ténèbres, celles qui ont englouti Nelly. J’ai le bonheur de faire ce que je veux faire dans la vie… mais c’est teinté de toute la souffrance d’une femme. »
Teinté d’une incapacité non pas à définir son identité, mais à conjuguer les extrêmes qui la caractérisaient. À les unifier.
Et de la même manière que Nelly Arcan était littéraire plutôt que littérale dans son rapport au réel, le film d’Anne Émond évoque plutôt qu’il reconstitue. C’est l’une de ses — très nombreuses — qualités.
Nelly prend l’affiche le 20 janvier.
Ce contenu spécial a été produit par l’équipe des publications spéciales du Devoir, relevant du marketing. La rédaction du Devoir n’y a pas pris part.
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