Il n’y a pas de pays sans grand-père

L’idée de réunir à l’écran Gilles Vigneault et Fred Pellerin a germé dans l’esprit de Francis Legault après les avoir entendus parler de leur cabane à sucre alors qu’ils terminaient l’enregistrement de l’émission de radio L’autre midi à la table d’à côté en 2008. Six ans plus tard, les voilà donc discutant avec passion de leur amour pour le sirop d’érable, ce trésor national que les uns adorent et que les autres regardent de haut.
Eh oui, ce n’est pas tout le monde qui affirme fièrement son amour pour l’or sucré, le rattachant à des traditions, à un folklore, à un passé paysan que l’on voudrait reléguer aux oubliettes. Ce malaise de certains traduit parfaitement celui de bon nombre de Québécois par rapport à l’identité nationale. Dans Le goût d’un pays, Francis Legault a donné la parole à des amoureux du sirop d’érable, toutes générations confondues, pure laine et néo-Québécois. En résulte un portrait chaleureux, vibrant et rassembleur de la société québécoise, lequel distille pourtant un goût doux-amer.
Certes, Roméo Bouchard, fondateur de l’Union paysanne, et son fils Géronimo, du Bas-Saint-Laurent, de même que les membres du clan Tessier de Montréal, ont les yeux brillants et le sourire éclatant lorsqu’ils parlent du temps des sucres. À l’instar du chef Martin Picard, qui se désole que les Québécois ne soient pas aussi fiers de leur sirop d’érable que les Méditerranéens de leur huile d’olive, ils ne cachent pas leur fierté et leur amour pour ce produit du terroir et du territoire.
Tandis que tous s’affairent à recueillir la précieuse sève et que l’on offre des vues imprenables sur les érablières, Kim Thúy et Lesley Chasterman partagent des anecdotes de jeunesse, et Boucar Diouf et Gabriel Nadeau-Dubois se livrent à quelques analyses sur l’identité nationale et le sentiment d’appartenance. À les entendre par moments, on se croirait presque dans une publicité pour Tourisme Québec…
À travers leurs propos, tour à tour légers, émouvants, éclairés, on ne retrouve pas l’inquiétude quant à l’avenir du Québec que ressent Gilles Vigneault. Faisant figure de patriarche dans ce documentaire aux images d’une grande beauté, le poète a très souvent les yeux tristes lors des discussions avec son enthousiaste dauphin.
Alors que se fait entendre la symphonie des gouttes d’eau d’érable, pour reprendre la jolie expression de Pellerin, le poète communique au conteur sa crainte de voir la langue française et les traditions disparaître, ainsi que de voir les Québécois à jamais privés d’un pays. L’été dont parle Fabien Cloutier avec sa poésie truculente finira-t-il par arriver un jour ?