Zacharias Kunuk, le passeur de traditions

Kunuk est le premier cinéaste inuit à avoir tourné ses histoires en inuktitut et avec une équipe locale.
Photo: Michelle Siu La Presse canadienne Kunuk est le premier cinéaste inuit à avoir tourné ses histoires en inuktitut et avec une équipe locale.

Enfant puis adolescent, au centre communautaire d’Igloolik (dans l’actuel Nunavut), Zacharias Kunuk, qui avait été élevé à l’ancienne par un père chasseur inuit, découvrit le cinéma « des films de cowboys et d’Indiens » en 16 mm. Ces westerns lui sont tombés dans l’oeil, avec John Wayne surtout.

Maintes décennies plus tard, le cinéaste d’Atanarjuat, également sculpteur — qui avait acheté à Montréal sa première caméra vidéo en 1981, avant de cofonder sa maison de production, Isuma Productions — a eu envie de rendre hommage au genre. The Searchers, chef-d’oeuvre de John Ford (1956), l’inspirait d’autant plus que des histoires d’enlèvement de femmes étaient courantes dans l’Arctique entre nomades. « Au cours de ces rapts, ils ficelaient les jambes des femmes pour les empêcher de bouger. À la première de Maliglutit à Igloolik, ce mois-ci, dans l’école municipale, une aînée qui avait assisté au cours de sa jeunesse à un enlèvement du genre s’est presque évanouie en en retrouvant l’image à l’écran. »

Kunuk est le premier cinéaste inuit à avoir tourné ses histoires en inuktitut et avec une équipe locale. Maliglutit (dont on ignore encore la date de sortie en salles) est son troisième long métrage de fiction. Il arrive 15 ans après Atanarjuat, qui lui valut la Caméra d’or à Cannes, avant d’être couronné meilleur film canadien de tous les temps par un pool critique et 10 ans aussi après The Journals of Knud Rasmussen.

On rejoint le cinéaste par téléphone dans son studio d’Igloolik, où il travaille à redonner ses mythes et sa mémoire au peuple Inuit. Dans la communauté, les jeunes s’acculturent à toute vitesse, la drogue fait des ravages, sous haut taux de suicide et perte des repères.

La toundra, désert blanc

 

Sans constituer un vrai remake du film de Ford, Maliglutit, lancé en première à Toronto, reprend la trame de ce film de vengeance sur la quête d’une jeune fille enlevée par les Comanches. Sauf que, cette fois, la toundra de l’Arctique remplace les déserts de Monument Valley et que ce sont son épouse et sa fille que le chasseur veut retrouver. « Je n’ai jamais entendu parler de kidnappings, chez nous, de femmes par les Blancs. Ça se faisait entre Inuits », précise-t-il.

Le réchauffement climatique est à géométrie variable. Kunuk précise qu’en mars 2015, dans sa région, lors du tournage de Maliglutit, la température n’avait jamais été aussi froide : -47°, -48°. « On enveloppait l’équipement avec des fourrures de mouton, mais les acteurs ont subi des morsures de froid. Ce fut le plus grand défi de ce tournage. »

Photo: Source Festival du nouveau cinéma Scène tirée du film «Maliglutit»

Natar Ungalaaq, inoubliable acteur d’Atanarjuat, grand ami de Kunuk, a coréalisé le film. « Je voulais lui permettre de découvrir le travail du cinéaste, d’avoir une nouvelle corde à son arc. » Une des fonctions de Natar était d’aider de jeunes acteurs inexpérimentés à bâtir des personnages dont ils n’endossaient pas nécessairement les paroles et les actes.

Kunuk a mis de nouveaux interprètes à l’avant-plan, dont son propre frère, Benjamin « Il n’avait jamais conduit un traîneau et le film lui a permis d’acquérir ce savoir-faire. »

« Pour le décor, les costumes, ce sont les aînés qui font le travail, car ils savent coudre des vêtements traditionnels et fabriquer les objets dans les igloos. On élabore les histoires avec eux aussi. Ils connaissent celles du passé. Quant aux jeunes, ils ont ainsi l’occasion d’apprendre. »

Sous la protection du huard

 

Maliglutit est une équipée, certes. « Mais, comme chez Ford, le film aborde aussi une traversée intérieure d’un homme dans sa chasse au ravisseur. Le périple transforme ceux qui sont lésés en prédateurs à leur tour. » Le film porte également sur les répercussions du drame familial. Un esprit totémique huard se tient aux côtés du vengeur. « Trois cent cinquante sortes d’esprits avaient été identifiées par les premiers anthropologues dans la culture inuite, précise Kunuk, des totems d’insectes ou d’autres types d’animaux veillaient sur les hommes. Moi, j’avais envie d’utiliser le cri du huard, un oiseau très présent chez nous. » Il s’agit en fait du plongeon arctique, cousin de notre huard à collier.

L’action se situe en 1913, d’où ces premiers objets venus des Blancs, présents dans le film : des tasses, un poêle, de la vaisselle, un fusil. « Celui-ci ne pouvait que tirer trois balles », précise Kunuk. The Journals of Knud Rasmussen, situé pour sa part en 1922, montrait des échanges d’objets plus poussés avec les Blancs. Atanarjuat embrassait le temps du conte et du mythe, avec les seuls artefacts inuits.

Au cours des 10 dernières années, Kunuk avait essentiellement travaillé sur des documentaires et des séries à héritage inuit, afin de nourrir une chaîne de télé dans la langue de son peuple. « On a beaucoup travaillé à cette chaîne inuite, précise-t-il, veillant également à ce que l’ensemble de la communauté soit branchée et puisse voir ses images. » Kunuk a réalisé des documentaires sur la chasse aux morses, sur l’impact climatique des grandes minières sur la faune locale, etc.

« J’essaie le plus possible d’associer un jeune avec un aîné, pour la chasse aux morses, par exemple, afin que l’un apprenne de l’autre. »

Le cinéaste jongle avec l’idée d’un nouveau film de fiction, sur des massacres d’Inuits accusés de vol de marchandises, perpétrés au XVIIIe siècle dans le Nord du Québec, par des dirigeants de grandes compagnies, La Baie d’Hudson entre autres, qui envoyaient des Mohawks prendre leurs scalps et leurs oreilles. « Les Cris les avertissaient de se cacher par des messages de fumée. J’ai fait des recherches dans les archives à Ottawa. Ce sera un film à haute teneur dramatique qui implique beaucoup d’action. Et ces faits participent à notre histoire… »

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