Damnée famille

Juliette Gosselin joue Berthe, la sœur handicapée de Pierre, le personnage qui porte le film sur ses épaules.
Photo: Source Filmoption International Juliette Gosselin joue Berthe, la sœur handicapée de Pierre, le personnage qui porte le film sur ses épaules.

L’année 1940. Pendant que l’Europe est déchirée par la guerre, à Montréal, Pierre Sauvageau, 22 ans, ronge son frein. Assoiffé d’aventures, assoiffé d’autre chose, le courageux jeune homme doit plutôt prendre soin de sa jumelle handicapée, Berthe, qui nourrit pour lui des sentiments plus que filiaux. Amoureux de Marguerite, la fiancée de son meilleur ami, Pierre n’arrive pas à se sortir sa soeur de la tête. Et il y a leur mère, Yvonne, une veuve qui vit elle aussi ses propres passions exacerbées. Sans parler d’une foule d’accointances dont le quotidien peu banal se heurte à celui des excentriques Sauvageau sur fond de religiosité canadienne-française. Ah, elle est colorée, la faune qui peuple Embrasse-moi comme tu m’aimes, le nouveau film d’André Forcier, à l’affiche partout depuis ce vendredi.

Venu remplir la nouvelle salle de projection du Pavillon Pierre-Lassonde du Musée national des beaux-arts, le public du Festival de cinéma de la ville de Québec a, cela s’entendait, adoré. Entendu d’une dame après le film : « Heille, c’était weird ! Mais mon Dieu que c’était l’fun ! »

Pas de doute, il est en verve, en imagination et surtout en audace, l’auteur d’Une histoire inventée et de Je me souviens. D’ailleurs, comme dans ce dernier film, on retrouve, dans Embrasse-moi comme tu m’aimes, ce plaisir évident que prend le cinéaste à convoquer à l’image un passé fantasmé.

Si décalé, si familier

 

Or reconstitution historique rime habituellement avec gros moyens. Ce dont ne disposait pas André Forcier. Qu’à cela ne tienne, en déployant des trésors d’ingéniosité dans son découpage technique et dans ses compositions, mais aussi avec la complicité du directeur photo, Daniel Jobin, du directeur artistique, Patrice Bengle, et de la conceptrice de costumes, Madeleine Tremblay, le cinéaste parvient à créer un univers homogène existant quelque part entre le souvenir et le rêve.

Caractéristique du cinéma de Forcier, ce décalage par rapport à un réel pourtant familier n’est pas la seule constante que l’on retrouve avec bonheur. Cette poétisation du quotidien, tant dans ses aléas scabreux que dans ses moments de grâce fugitive, à l’arrière-plan, et ces envolées tragicomiques soudaines, à l’avant-plan, valent « une couple » d’étoiles à elles seules.

Et cette truculence imagée dans la bouche des personnages (« Moi j’embrasse comme une vraie amoureuse. Chu pas une guidoune. »).

Et cet humour tour à tour grinçant et bon enfant (Céline Bonnier, les mimiques impayables, disputant à sa fille les attentions d’un prétendant : une scène d’anthologie.)

C’est tordu, beau, bigarré. C’est du Forcier.

Défilé de pointures

 

La présence à l’écran d’une distribution quatre étoiles, des premiers aux troisièmes rôles, ne gâte pas le plaisir non plus. Le charisme insouciant, Émile Schneider (Là où Atilla passe), qui rappelle un jeune Gratien Gélinas, confirme sa capacité à porter un film sur ses épaules, dans le rôle de Pierre.

Céline Bonnier, en mère qui se languit d’amour, et Roy Dupuis, en patriarche ivrogne d’un autre clan, s’amusent ferme. En jumelle possessive, Juliette Gosselin brille, à l’instar d’Antoine Bertrand, en gai refoulé puis révolté, etc. Les numéros d’acteur savoureux s’enchaînent avec les Mylène McKay, Tony Nardi, France Castel, Julien Poulin, Patrick Drolet, Réal Bossé, Pascale Montpetit, Catherine De Léan, Luca Asselin, Alexandre Castonguay, Mylène Saint-Sauveur, Rémy Girard… Leur défilé donne presque le tournis.

D’ailleurs, de-ci de-là, le récit qui s’éparpille un brin a tendance à se laisser désirer, quoiqu’il ne laisse jamais à désirer. Mais, là encore, ce sont aussi les digressions et les apartés qui font le charme, considérable, du cinéma de Forcier.

Le Devoir se trouve à Québec à l’invitation du Festival de cinéma de la ville de Québec.

Embrasse-moi comme tu m’aimes

★★★★

Comédie fantaisiste d’André Forcier. Avec Émile Schneider, Juliette Gosselin, Céline Bonnier, Mylène McKay, Tony Nardy, Antoine Bertrand. Québec, 2016, 95 minutes.

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