Sur les traces de Forcier

Le cinéaste Jean-Marc E. Roy
Photo: Jean-Marc E. Roy Le cinéaste Jean-Marc E. Roy

Au Festival de cinéma de la ville de Québec, il n’y a pas que les films qui sont intéressants : la faune qui gravite autour de ceux-ci l’est tout autant. Prenez Jean-Marc E. Roy, jeune cinéaste présent ici afin de poursuivre son travail patient — et passionné — de documentation de la carrière d’André Forcier, dont le film Embrasse-moi comme tu m’aimes est présenté ce jeudi au FCVQ.

Remarqué avec ses courts-métrages, dont le plus récent, Bleu tonnerre, fut présenté à Cannes en 2015, Jean-Marc E. Roy accumule ainsi depuis plusieurs années du matériel pour un documentaire qu’il entend consacrer au réalisateur de L’eau chaude, l’eau frette. Le projet, qui inclurait des recréations de scènes de chacun des films de Forcier, est en processus de financement.

Pourquoi avoir décidé de consacrer un documentaire à Forcier, en particulier ?

Moi, si je fais des vues, c’est parce qu’un jour, après le secondaire, j’ai revu Une histoire inventée. C’est à ce moment exact que je me suis dit qu’il était possible de faire du cinéma autrement. J’avais déjà vu d’autres grands classiques de l’histoire du cinéma, mais on dirait que cette proximité, en tant que gars de la Rive-Sud, avec les lieux, m’a ouvert les yeux. Après cette épiphanie, je me suis mis à décortiquer, à analyser et, j’espère, à comprendre son monde. Bien que tout au long de mes années collégiales et universitaires, je faisais l’apologie de son travail et j’allais même jusqu’à juger les gens avec une face de « tu-n’as-rien-compris-au-cinéma-si-t’aimes-pas-Forcier », jamais je n’aurais pensé un jour être si proche de lui et avoir une relation du genre « on-s’appelle-à-5 h 44-du-matin-pour-se-questionner-sur-des-enjeux-de-scénario-parce-que-là-à-la-scène-63-on-dirait-qu’elle-ne-devrait-pas-lui-répondre-ça-quand-il-lui-dit-qu’il-la-trouve-belle ». Il a changé ma vie.

Vos impressions quant à son cinéma ont-elles évolué maintenant que vous l’avez côtoyé de si près ?

La force de Forcier, c’est de jongler avec l’image du quotidien. Ce l’était jadis et ce l’est toujours. Mes impressions quant à son cinéma sont relativement les mêmes, c’est juste que maintenant, j’ai le sentiment d’accéder à une strate de lecture supplémentaire, de ses anciennes comme de ses plus récentes oeuvres. J’ai eu la chance de voir évoluer les différentes moutures des scénarios de ses trois derniers longs-métrages, et j’ai constaté qu’un scénario, ça peut souvent changer, beaucoup. Forcier n’a pas peur de « tuer ses darlings » [en référence au mantra de William Faulkner] si ça bénéficie à l’histoire. D’ailleurs, ce que je retiens de lui, c’est qu’il aime raconter des histoires.

Croyez-vous qu’il est plus difficile « d’exister » comme cinéaste, de nos jours, lorsqu’on veut développer un univers à soi aussi singulier que celui de Forcier ?

« C’est en étant le plus particulier qu’on est le plus universel », disait Gide. Il y a de la place pour tout dans le cinéma. C’est cliché, peut-être, mais si tous les films étaient pareils, ça serait dull en maudit. L’univers de Forcier est parfois qualifié, à tort à mon avis, de surréaliste, alors que selon moi, on nage plutôt dans un hyperréalisme, au sens figuré de la chose. Forcier est le maître de la banalité rendue extraordinaire. Du Forcier, c’est du Forcier : c’est parfois imparfait, on ne peut pas dire le contraire, mais il reste que c’est original. Tout comme lui, je crois que le cinéma est souvent trop psychologique et que les dialogues, comme les films, ne « doivent pas nécessairement singer ceux de la vie ; ils doivent être plus compacts, plus concentrés et plus aphoristiques », pour le citer.

Comment qualifieriez-vous l’héritage de Forcier ?

Malgré le fait que son nom soit établi dans l’imaginaire collectif des cinéastes jeunes et moins jeunes, peu de gens connaissent vraiment cet homme parfois mystérieux et casanier, parfois exubérant et extraverti. Il fait partie de notre patrimoine, mais il est triste de constater à quel point les informations et la documentation sont maigres à son sujet. Dans une ère de remakes et de reprises, il me semble essentiel de faire redécouvrir les bâtisseurs de sa trempe.

C’est avec la volonté de porter à l’écran la force de sa poésie brute, solidement ancrée dans le terroir canadien-français, que mon projet est né. L’univers de Forcier m’habite : déluré, imaginaire, gros, déphasé, toujours irisé d’amour, son cinéma est près de nous, près de moi.

Outre la dimension personnelle de mon projet, je crois qu’il est essentiel qu’un tel document soit produit anyways.

Embrasse-moi comme tu m’aimes prend l’affiche ce vendredi. Quant à Jean-Marc E. Roy, il souhaite amorcer le tournage de son documentaire au printemps.

Notre journaliste se trouve à Québec à l’invitation du FCVQ.

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