Saint-Amour — Papa a raison

En une poignée de films, Benoît Delépine et Gustave de Kervern ont su créer une oeuvre reconnaissable et, surtout, originale. Chantres de la causticité et de l’irrévérence, les deux cinéastes manient l’art du décalage en maîtres. Il en résulte un univers aussi déconcertant que réjouissant. Leur nouveau film, Saint-Amour, s’inscrit dans la continuité de cette approche, mais en une incarnation quelque peu diluée.
En surface, Saint-Amour possède les mêmes attributs que les propositions précédentes de Delépine et de Kervern qui, peut-être en un écho de leur propre situation créatrice, mettent toujours en scène des tandems. On pense aux deux transgenres apprentis tueurs dans Louise-Michel, au motocycliste retraité qui ne va nulle part sans le fantôme de son premier amour dans Mammuth et aux frères respectivement punk et propre sur lui dans Le grand soir.
Ces duos sont volontiers mal assortis ou insolites. Les êtres qui les constituent sont moches, voire grotesques, mais ils en viennent à atteindre une improbable beauté car ils sont toujours sincères, même dans leurs transgressions. À cet égard, en comparaison avec ses prédécesseurs, Saint-Amour apparaît bien sage.
Gérard Depardieu, si émouvant dans Mammuth, incarne avec retenue un père cultivateur qui, en une ultime tentative pour renouer avec son fils, part avec lui sur la route des vins. Premier hic, et premier trait comique propre aux coauteurs, fiston est un alcoolique. Benoît Poelvoorde, vu dans Le grand soir, offre un jeu outré et plein de tics, et contraire en tout à celui de son partenaire. L’opposition, qui aurait pu être drôle, tombe à plat, d’autant qu’en vérité, les deux comédiens ne partagent pas une très grande chimie.
Certains passages valent cela dit à eux seuls le prix de l’entrée, comme celui, au lit mais chaste, que partagent Depardieu et Andréa Ferréol (La grande bouffe). Ou encore cette demande de fécondation formulée par Céline Sallette (De rouille et d’os) au père, au fils et au chauffeur de taxi qui les accompagnent.
Manque de folie
Moins grinçantes, plus sentimentales, les tribulations des protagonistes font toutefois, pour l’essentiel, pâle figure comparées à celles imaginées auparavant par les coauteurs. En fait, on a presque l’impression d’un film construit à partir de scènes coupées ou rejetées de scénarios antérieurs.
Bref, l’identité artistique de Benoît Delépine et Gustave de Kervern est là, discernable, mais on cherche en vain ce grain de folie et ce supplément d’âme qui rendent habituellement leurs films si mémorables. Leur troisième « road movie » consécutif, Saint-Amour sent presque la recette.
Or, s’il est une chose que l’on est en droit d’attendre des deux compères cinéastes, c’est l’inattendu.