Cinéastes en plein désarroi au FFM

Sans salle de conférence, sans attaché de presse, les cinéastes dont les films survivent à l’émondage ne pourront pas plus commenter leurs créations, si ce n’est à l’Impérial, où les projections s’enchaînent à la queue leu leu.
Photo: Pedro Ruiz Le Devoir Sans salle de conférence, sans attaché de presse, les cinéastes dont les films survivent à l’émondage ne pourront pas plus commenter leurs créations, si ce n’est à l’Impérial, où les projections s’enchaînent à la queue leu leu.

Il n’y avait pas beaucoup de monde à l’Impérial, en ce premier matin d’un Festival des films du monde (FFM) dont la nouvelle grille horaire avait été finalisée la veille. Davantage l’après-midi, alors que le fidèle public s’était déplacé malgré la houle, plus dispersé, mais au poste, appréciant les films ou pas, mais se promettant de revenir. Ça ne règle pas le problème de fond.

Deux jeunes cinéastes européennes se sont confiées au Devoir, en refusant de divulguer publiquement leur nationalité. Elles ne savaient trop quoi faire. Venues présenter leurs oeuvres dans la section du cinéma étudiant au Festival des films du monde, elles se sont fait répondre que ce volet était annulé : « Sans que personne nous ait averties auparavant de ne pas nous déplacer à Montréal », se révoltent-elles. On leur a assuré sur place que le jury verrait leurs films quand même, mais sans projections publiques, mais comment en être certaines ?

« Nous avons rencontré des cinéastes d’Israël, de Los Angeles, qui vivent la même situation que nous », assurent-elles. Ces jeunes réalisatrices, dont les billets d’avion et les chambres d’hôtel étaient défrayés avec un coup de pouce d’associations, dénoncent un manque de respect à l’endroit des cinéastes, laissés à ce point dans le noir par le festival qui avait sélectionné leurs films.

Elles auraient aimé se regrouper pour organiser une marche de protestation devant le cinéma Impérial, mais comment joindre leurs semblables ? Au cours des années précédentes, l’hôtel Hyatt servait de quartier général. Cette année, les créateurs n’ont guère d’endroit où se réunir.

Serena Dykman devait accompagner en première mondiale, dans la compétition documentaire, son film Nana, à la mémoire de sa grand-mère, une rescapée d’Auschwitz. Domiciliée à New York, elle l’a réalisé en français, ravie de le lancer au Québec. « J’avais lu dans les médias et appris de ma relationniste que le festival avait perdu ses salles au Forum, sans recevoir un seul courriel de leur part. »

Se renseignant à travers les réseaux sociaux, Serena Dykman s’est résolue à appeler le festival. « On m’a dit que mon film serait projeté, mais en me présentant jeudi dans ses bureaux, j’ai reçu plusieurs informations contradictoires ; que mon film allait passer, qu’il ne passerait plus, qu’il passerait, etc. »

Devant le chaos qui régnait au bureau, il lui est apparu clair que Nana ne serait pas projeté, faute d’avoir trouvé de nouvelles salles. Alors, elle a retiré son film. « J’ai participé à plus de 70 festivals à travers le monde, je n’avais jamais vu ça. C’est affreux pour nous. Encore plus pour la réputation d’un festival qui a été important. »

L’incompréhension était aussi sur les visages des habitués, qui ne reconnaissent plus leur festival. « Comment faire un festival sans argent ? » demandait l’un d’eux, attristé par la tournure des événements. Au cinéma Impérial, les rares préposées du festival se démèneraient pour éteindre les feux, débordées. Leur téléphone ne dérougit pas. Certaines ambassades et institutions nationales auraient été mises au courant de la situation. Sinon, les médias sociaux tiennent lieu de tam-tams pour relayer les mauvaises nouvelles.

Certains accusent les médias de jeter de l’huile sur le feu et veulent voir des films, un point c’est tout, mais que répondre aux cinéastes désemparés ? Et même en éprouvant de la compassion pour le président du FFM, Serge Losique, qui s’est battu pour maintenir un rendez-vous à flot sans appui des institutions, force est de constater avec consternation l’ampleur de la crise.

Des films malgré tout

 

Et pourtant donc, le rendez-vous de films roule encore. Du moins, le FFM s’est-il offert un bon démarrage jeudi soir à l’ouverture avec le film d’André Forcier Embrasse-moi comme tu m’aimes, pétri de bonnes idées et de gags amusants. Le cinéaste d’Au clair de la lune a fait un travail formidable en poétisant la langue montréalaise du temps de la Seconde Guerre mondiale. Ajoutez une musique exceptionnelle, mais un rythme qui s’alanguit, puis reprend du tonus en fin de partie, plusieurs prestations formidables, dont celles Tony Nardi, France Castel, etc.

Vendredi matin, le film Prénom Dobrica, nom : inconnu, première oeuvre du Serbe Srdja Penezic, avait du charme. Feel good movie sur un orphelin optimiste, ballotté par les régimes successifs de la Serbie, il s’amusait avec les codes de l’animation, et à défaut de vraisemblance, offrait une fable sur la résilience, avec références à l’histoire des Balkans.

Sinon, les oeuvres de la compétition sont présentées le soir. Et comme chaque film, en l’absence de plusieurs salles de projection, n’est projeté qu’une seule fois, les médias seront appelés à commenter des oeuvres que le public ne pourra plus voir. Sans salle de conférence, sans attaché de presse, les cinéastes dont les films survivent à l’émondage ne pourront pas plus commenter leurs créations, si ce n’est à l’Impérial, où les projections s’enchaînent à la queue leu leu.

À ces soucis s’ajoutent d’autres, comme notamment un manque de véhicules et de personnel pour aller chercher les invités à l’aéroport, faute d’argent. Le jury de la compétition mondiale a aussi rétréci. Lee Tamahori n’est pas venu, et d’autres membres du jury risquent de se lasser, de rendre leur tablier, dit-on en coulisses.

Certains croient que le mal est fait, qu’à travers la planète cinéma, nul ne fera plus la différence entre un festival et un autre, en se contentant de mettre un X sur une ville identifiée au mot confusion. C’est que la réputation de Montréal est en jeu et dépasse de beaucoup le cas du FFM. La Ville, les institutions fédérale ou provinciale ne pourraient-elles débloquer des fonds juste pour cette édition-ci, afin de sauver l’honneur municipal ?


À Ottawa, la ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, garde un oeil sur le festival, précisait samedi son attaché de presse, Pierre-Olivier Herbert. Ce qui ne l'empêche pas de s'attrister « de voir que le festival éprouve des problèmes ». À Québec, l'attaché du ministre de la Culture, Karl Fillion rappelle pour sa part que le ministre Luc Fortin attend toujours un plan d'affaires. Qui ne vient pas. « Cela fait plusieurs années qu'on attend un plan d'affaires du FFM, un plan de restructuration, sans cela, il n'y a pas d'aide possible. »
 

À la Ville de Montréal, on s’est voulu rassurant en fin de journée. « La réputation internationale de Montréal, métropole culturelle, ne tient pas qu’à un seul événement, écrit la directrice des communications, Catherine Maurice. Nous suivons par contre la situation de près et nous nous assurons, avec différents partenaires, que les artistes et artisans soient accueillis dans les meilleures conditions possible. »

 

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