Bouillabaisse cannoise

Tandis que les blagues du maître de cérémonie, au gala d’ouverture, reliant les affaires de moeurs de Woody Allen et de Roman Polanski gardaient jeudi en émoi la Croisette et la blogosphère, Emmanuelle Seigner, compagne de Polanski, publiait sur Instagram la photo d’une palme d’or (remportée par son mari en 2002 pour Le pianiste) retournée à l’envoyeur, avec noms d’oiseaux, voire de mammifère : « Gros blaireau ! » Woody Allen, lui-même humoriste, ne s’est formalisé de rien, laissant présager sinon la fin de l’épisode, du moins son essoufflement.

Cannes n’en a que pour les stars. Vérité de La Palice, qui renvoie à l’ombre bien des films et leurs cinéastes. Prenez mercredi matin. À la même case horaire : la rencontre de presse du Français Alain Guiraudie, pour Rester vertical, et la projection de Money Monster, de Jodie Foster, avec George Clooney et Julia Roberts. Vers quoi se sont rués les médias, croyez-vous ? Et on s’y inclut. Pauvre Guiraudie !

La recherche de Tavernier

 

Chemin faisant sur la Croisette, la rencontre jeudi du cinéaste Bertrand Tavernier, pris dans la cohue des badauds devant le tapis rouge, déambulant à mes côtés pour s’en mettre à l’abri. Il s’avoue très fier de son dernier documentaire, dont les journalistes français disent, il est vrai, grand bien. Ce Voyage à travers le cinéma français, présenté le 16 mai à Cannes Classics, il l’a voulu proustien, odeurs de madeleine remontant en effluves son parcours cinéphile auprès des maîtres en son pays.

« J’avais cinq ans quand j’ai vu Dernier atout, de Jacques Becker, évoque-t-il. Ce fut pour moi un choc, tout en ignorant bien sûr et son titre et le nom de son cinéaste. » Vingt ans plus tard, il retrouvait le film. Tel est le point de départ de cette aventure analogue à celles de Scorsese pour les cinémas américain et italien.

Alors, Tavernier est allé de coups de coeur en coups de coeur entre les oeuvres de Renoir, de Chabrol, de Godard, etc., avec arrêts sur visages de Gabin, de la Simone Signoret de Casque d’or, de l’Arletty des Enfants du paradis. « Rien de chronologique, précise-t-il. Ça parle aussi de ma vie. » Le film, qui dure 3 h 15, sous sa voix hors-champ, pourrait s’intituler Portrait d’un cinéphile. Tavernier constitue sans doute le plus grand représentant de l’espèce en douce France.

 

Pas très bien accueilli ici en compétition, Rester vertical, du Français Alain Guiraudie. Il avait créé l’événement il y a trois ans avec L’inconnu du lac, primé à Un certain regard. Plus éparpillé que ce dernier, assez échevelé, mais rempli de fulgurances, ce film demeure une proposition complètement originale, mais incomprise, hélas !, en déroute du parterre.

Ce film, qui ne dévoile pas ses clés, expédie sur les routes de la France profonde un scénariste en quête d’inspiration. Rester vertical est un conte, une odyssée, avec les plongées oniriques d’un héros rêvant d’affronter le loup. Les personnages (acteurs et non-professionnels, parfois à la tronche pas possible) s’offrent des sexualités ouvertes à bien des cas de figure. Des thèmes comme le suicide assisté, la monoparentalité, le refus d’un enfant par une mère surgissent au détour. Avec des scènes sexuelles abordées frontalement, il a choqué. « Pourquoi un tel film ? » demandaient des voix haut perchées. Mais si Cannes ne casse pas les moules, qui le fera ?

 

Autre proposition fascinante : Sieranevada, du Roumain Cristi Puiu. Cette histoire puise au festival, puisque le cinéaste (primé à Un certain regard pour La mort de Dante Lazarescu, en 2005) siégeait ici au sein d’un jury deux ans plus tard, quand son père est mort. D’où son retour d’urgence à Bucarest. La cérémonie de commémoration regroupait toutes sortes de gens disparates qui s’engueulaient et son scénario s’en est nourri. Ici, un médecin ironique catapulté dans sa famille, au milieu des beaux chants polyphoniques orthodoxes, des crises, des scandales, des retards, retrouve des personnages étranges, dont une vieille cadre du Parti communiste qui s’ennuie du règne de Ceausescu. Le tout sur plans-séquences à travers une unité de lieu : cet appartement aux portes qui ouvrent et claquent comme dans un vaudeville et des dialogues décapants et savoureux, révélateurs de la société roumaine dans son microcosme.

La première partie constitue un enchevêtrement de scènes d’une drôlerie folle. Cette réunion de famille à la Festen, qui égare un peu son entrain en cours de route, demeure un morceau de roi.
 

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