Papa a tort

Buenos Aires, 1982. La guerre des Malouines vient de prendre fin et, au Service du renseignement, les têtes roulent. Arquímedes Puccio, un cadre sexagénaire, se retrouve ainsi sans emploi. Humilié, il décide de s’en remettre au crime afin d’assurer non seulement la subsistance de sa famille, mais aussi l’ascension sociale de celle-ci. Profitant des contacts mondains de son fils Alejandro, un membre de l’équipe nationale de rugby, le patriarche démarre donc une « entreprise familiale » d’enlèvements, les rançons versées devenant le principal revenu des Puccio. Coproduit, entre autres, par Pedro Almodóvar, Le clan revient sur cette sombre saga.
Notoire en Argentine mais moins connu autre part, sinon des amateurs de récits judiciaires sordides, le « clan » Puccio était dominé par Arquímedes, un être dépeint dans le film comme excessivement fier (tendance pervers narcissique), macho comme-il-faut et dénué de toute compassion. Un sociopathe en dormance, en somme. Longtemps célèbre en son pays en tant qu’acteur de comédie satirique, Guillermo Francella est glaçant dans le rôle de ce père dont on ne sait plus, au juste, s’il agit de la sorte afin de pourvoir aux besoins des siens ou afin de satisfaire une pulsion homicide latente.
Car, entre 1982 et 1985, les morts s’accumulèrent. En effet, sitôt l’argent reçu, Arquímedes Puccio s’empressait de tuer ses captifs. Le premier de ceux-ci, Ricardo Manoukian, était un ami du fils Alejandro. Ce dernier, qui ignorait apparemment les desseins meurtriers de son paternel, continua néanmoins de l’assister dans sa sale besogne. Cela, à l’insu de sa mère Epifanía et de ses soeurs Sylvia et Adriana. Quant au cadet des garçons, Guillermo, il quitta le pays pour ne plus y revenir en découvrant le pot aux roses. À l’inverse, le benjamin Maguila, qui, lui, vivait à l’étranger à l’époque, revint pour donner un coup de main.
Réalisme glauque
Le film débute sur une rapide et efficace mise en contexte historique. Après quoi, l’action démarre pour ne plus faillir. Doté d’une réalisation nerveuse (souvent en caméra à l’épaule), Le clan détaille les enlèvements, des préparatifs à l’assassinat ultime, tout en disséquant les rapports qu’entretenaient entre eux les membres de la famille Puccio. Ce faisant, le réalisateur Pablo Trapero alimente deux foyers de tension dramatique.
D’une part, il nourrit le suspense quant au devenir du père Puccio — meurtrier pour qui l’on se prend de fascination malgré soi, une leçon apprise du maître Hitchcock (L’inconnu du Nord-Express, Psychose).
D’autre part, il y a toute la question du secret maintenu dans la maison et ce qu’on cache dans la cave de celle-ci.
Il en résulte une oeuvre anxiogène de bout en bout, glauque dans son approche réaliste, et, à ce chapitre, qui n’est pas sans rappeler L’Étrangleur de la place Rillington, de Richard Fleischer, sur les forfaits du tueur en série John Christie.
Éprouvant mais expertement réalisé et interprété, Le clan plaira aux cinéphiles friands d’émotions fortes. Et aux amateurs de récits judiciaires sordides, il va sans dire.