Un gourou dans la nature

Abordant une thématique rarement traitée de nos jours, celle d’une communauté de jeunes à la campagne autour d’un guide de vie, pervers narcissique (rien là dessus depuis Moïse : l’affaire Roch Thériault en 2002 avec Luc Picard), Le rang du lion est un film québécois atypique et intéressant qui offre à l’écran plusieurs nouveaux visages de jeunes acteurs. Il s’inspire des communes des années 1970 tout en gardant un flou autour de l’époque de l’action.
Premier long métrage du réalisateur télé Stéphan Beaudoin (Yamaska, La promesse) et auteur du court métrage Initiation, Le rang du lion, produit de façon indépendante, tourné dans les Cantons-de-l’Est, scénarisé finement par Sophie-Anne Beaudry, brosse sans caricature les failles et les défaillances d’un monde en autarcie.
Alex (Frédéric Lemay) a suivi sa nouvelle copine Jade (Geneviève Bédard) qui s’était enfuie du cercle pour retrouver Montréal, mais elle l’entraîne dans son retour sans lui préciser la dynamique de leur groupe. Il ne s’agit pas ici d’une secte religieuse, mais basée sur la philosophie nietzschéenne à travers un segment d’Ainsi parlait Zarathoustra.
Et alors que tout le monde cache à Alex des éléments clés, notamment sexuels, de cette thérapie collective, il en découvrira peu à peu les effets pervers. La vraie initiation du jeune homme se fait hors du groupe, dans une individualité propulsée vers sa rébellion.
Manipulation et idéalisme
Troublant dans son portrait de collectivité soumise à un être charmant et tyrannique (Sébastien Delorme, très charismatique), ce film, en une lente montée psychologique et à travers le seul regard du nouveau venu, Alex, parvient, avec une tension soutenue, à exposer les ravages de la manipulation sur de jeunes esprits idéalistes.
Ce huis clos en pleine nature, cadre qui permet à la fois d’exposer l’étouffement psychologique d’un univers et sa libération à portée de vue, offre assez d’ellipses pour laisser le spectateur dans son salutaire brouillard. Sur les dérives éthiques, la responsabilité individuelle, l’aspiration à une métaphysique supérieure, les réponses ne sont pas offertes mais laissent au spectateur le soin d’y jongler.
Le jeu de Sébastien Delorme domine, avec, il est vrai, le rôle le plus fort et complexe du lot : celui du mentor qui manie tour à tour la carotte et le bâton. Frédéric Lemay incarne avec beaucoup d’ambiguïté celui de la recrue qui passe de la soumission dubitative à l’affrontement. Les autres jeunes comédiens, naturels et bien dirigés, s’insèrent dans la partition d’ensemble.
La caméra à l’épaule apporte une nervosité au film, les gros plans cernent les doutes et les émois des personnages, et le choix du huis clos confère à ce conte philosophique une densité qui sert son propos. Quant à la nature, elle baigne avec une symbolique de sortilèges et de libération, les rêves et les déboires de ces jeunes aux cerveaux lavés, en quête pourtant louable d’une transcendance, détournée par les jeux de pouvoir du mentor. On sait gré au cinéaste et à sa scénariste d’avoir évité l’approche manichéenne. Nul n’est tout blanc ou noir dans cette affaire, même le gourou. C’est là une des grandes forces du Rang du lion.