Un dîner de famille à Marrakech

Le Festival de Marrakech prend cette année des airs de dîner de famille. Un coup de chapeau est offert au septième art canadien et c’est bien pour dire : on se croirait parfois à la Place des Arts. Car qui dit cinéma canadien dit beaucoup cinéma québécois et têtes d’affiche montréalaises venues saluer la compagnie sous les monts Atlas : d’Yves Jacques à Pascale Bussières, de Carole Laure à Michel Côté, de Caroline Dhavernas à Gabrielle Lazure, sans compter Niels Schneider et son frère Aliocha, etc.
Et ce, même si Atom Egoyan, avec son Remember en projection de gala, préside la délégation de 23 membres de la tribu nationale. Acteurs, cinéastes, producteurs… ça parle surtout français au cours des rencontres et chics réceptions en l’honneur de cette délégation venue du froid.
Au buffet garni : une trentaine de films canadiens : d’Entre la mer et l’eau douce, de Brault, à Mommy, de Dolan, en passant par Le déclin de l’empire américain, d’Arcand, Léolo, de Lauzon, Un dimanche à Kigali, de Favreau, Rebelle, de Nguyen, C.R.A.Z.Y., de Vallée, Monsieur Lazhar, de Falardeau, Love Project, de Carole Laure, etc.
Où sont les autochtones?
Plusieurs films d’Egoyan, de Cronenberg, de Guy Maddin et d’autres Canadiens anglais sont là aussi. Nos deux solitudes se côtoient ici au grand écran. Egoyan affiche un regret : l’absence du cinéma des Premières Nations. « Et pourquoi pas Atanarjuat, de Kunuk » me demande-t-il ? Grosse lacune.
Son épouse, Arsinée Khanjian, qui parle arabe, devait l’accompagner, mais son père venait d’être opéré d’urgence. Pas d’Arsinée, donc.
Dans son discours d’hommage, le cinéaste de The Sweet Hereafter a souligné l’apport des premiers occupants du sol. « Notre identité est formée de ce que les Européens ont appris des Premières Nations. »
Le public marocain aime bien nos films, à propos. L’hommage est souligné par la presse internationale. Que du bon !
Plusieurs Québécois ne découvraient pas Marrakech pour autant. Carole Laure et Pascale Bussières furent membres du jury, Michel Côté avait accompagné C.R.A.Z.Y. en plus d’avoir parcouru le pays de fond en comble. Quant au cinéaste Robert Favreau, il avait écrit le scénario d’Un dimanche à Kigali à Marrakech dans le cadre des ateliers mobiles éQuinoxe/To Be Continued. Le film valut trois ans plus tard en 2006 à son actrice Fatou N’Diaye le prix d’interprétation féminine au festival, bouclant la boucle.
Tourner au Maroc
Même si des accords de coproductions cinématographiques et télévisuelles sont paraphés depuis 1981 entre le Canada et le Maroc, jusqu’à ce jour, seule la minisérie Ben Hur, en partie canadienne, en a profité en 2011. « Et je n’ai jamais signé des tonnes de procédures administratives autant qu’avec le Canada pour ce Ben Hur,soupire le producteur marocain Zakaria Alaoui. De vingt à trente pages par jour. Puis j’ai arrêté de compter. Mieux vaudrait alléger… »
Le Maroc, avec ses spectaculaires studios de Ouarzazate aux portes du désert, s’est construit une énorme industrie pour les films situés au Moyen-Orient. Plusieurs terres de tournage musulmanes, dont l’Égypte, sont décrétées zones rouges, car politiquement instables. Le Maroc, monarchie sans vrais soubresauts du printemps arabe, offre une paix relative, ses sables et ses casbahs maquillés pur Afghanistan, Algérie, Iran, et tout ce qu’on voudra ; figurants inclus. Quand même, les récents attentats bousculent plusieurs projets de tournages occidentaux, ici comme ailleurs. Ça roule tout de même.
Bientôt pour le Québec d’ailleurs. De fait, le producteur Pierre Even et le cinéaste Kim Nguyen sont ici en repérages pour le film Eye on Juliet, tourné en février prochain. Il raconte l’histoire d’un homme d’une compagnie de surveillance envoyé filmer des pipelines dans le désert, qui braque plutôt sa caméra vers un couple illégitime, la femme surtout, objet de son obsession. « Le film explore les relations amoureuses du XXIe siècle, avec la technologie qui nous sépare », précise Kim Nguyen. Il est en pourparlers avec une équipe marocaine, prévoit tourner à Ouarzazate comme dans la belle ville portuaire d’Essaouira. Ça devrait se signer bientôt.
Quant au producteur Éric Fournier, il songe à coproduire Tuba, du cinéaste marocain Daoud Aoulad Syad, fable sur la musique qui transcende l’intégrisme. « On sent chez nous une curiosité, une ouverture à ces univers, dit-il. L’intégration des communautés musulmanes au Québec donne vraiment envie de se pencher sur une culture arabe de tolérance. » À suivre !
Notre journaliste est l’invitée du Festival international du film de Marrakech.