Rendez-vous avec la mort

Isabelle Huppert et Gérard Depardieu sont réunis au cinéma 35 ans après «Loulou» de Maurice Pialat.
Photo: Axia Films Isabelle Huppert et Gérard Depardieu sont réunis au cinéma 35 ans après «Loulou» de Maurice Pialat.

Isabelle et Gérard s’aimèrent autrefois devant puis derrière la caméra. Ensemble, le couple eut un fils, Michael, né au temps d’ambitions professionnelles dévorantes. Exilé aux États-Unis, Michael renia ses parents après qu’eux l’eurent eu passivement mis de côté. S’ensuivit un suicide dénué d’explications mais assorti de deux lettres dans lesquelles Michael enjoint à Isabelle et Gérard de se retrouver dans la vallée de la Mort six mois après son trépas. « Je reviendrai », promet-il.

Une oeuvre chargée de mystère, d’onirisme et de beauté, Valley of Love débute sur le face-à-face tendu entre les deux protagonistes qui, on le devine, ne se sont guère revus depuis leur rupture jadis. Désemparée sous des dehors calmes, Isabelle ne demande qu’à croire au miracle tandis que Gérard, las, se prête au jeu plus par égard pour elle qu’autre chose. Puis, de songes cryptiques en apparitions bizarres, les parents indignes, de leur propre aveu, plongent graduellement dans les affres d’un deuil jusque-là reporté.

Pourtant bien vivants, Isabelle et Gérard errent tels deux fantômes entre la vallée de la Mort et leur complexe hôtelier, un lieu anonyme sis en pleine oasis artificielle qui, la nuit venue, perd ses oripeaux impersonnels et se pare d’atours quasi fantastiques. Le spectre de David Lynch plane… Il y a en outre dans cette Amérique-là un peu de celle du Paris, Texas de Wim Wenders, en cela qu’ici aussi, le regard d’un cinéaste étranger, Guillaume Nicloux en l’occurrence, confère au territoire états-unien une aura singulière, mythifiée. Pour autant, la présence du réalisateur de Cette femme-là et de La religieuse demeure palpable.

En effet, Nicloux signe ici une mise en scène qui, sans jamais être ostentatoire, ne s’en révèle pas moins finement conçue.

Une métafiction

 

La mystique de la proposition, autant que sa cohérence exemplaire d’ailleurs, tient cela dit beaucoup aux vedettes en présence. Réunis au cinéma 35 ans après Loulou de Maurice Pialat, Isabelle Huppert et Gérard Depardieu campent, avec un faux naturel troublant, « Isabelle » et « Gérard », les comédiens français célèbres qui se trouvent au coeur de cette métafiction aussi stimulante qu’émouvante.

Principal apport musical, le bien nommé morceau La question sans réponse, de Charles Ives, composé en 1908, agit dans un premier temps comme une évocation sonore des tourments intérieurs de ces deux êtres qui ne se livrent pas tout de suite, puis, dans un second temps, comme un motif entêtant qui s’insinue dans l’esprit du spectateur, celui-ci rejoignant alors l’univers insolite d’Isabelle et de Gérard (pensez Les yeux grand fermés, de Stanley Kubrick).

Isabelle et Gérard qui s’aimèrent autrefois, et devant, et derrière la caméra…

Isabelle et Gérard qui, à présent que s’amène le générique, recouvrent enfin, dans la vallée de la Mort, quelque chose comme un espoir de vie.

Valley of Love (V.O.F.)

★★★★

France, 2015, 91 minutes. Drame de Guillaume Nicloux avec Isabelle Huppert, Gérard Depardieu.