Trouver sa voix

Les films se suivent mais ne se ressemblent pas au Festival du cinéma international en Abitibi-Témiscamingue (FCIAT), et c’est tant mieux. Et on voyage, de la campagne québécoise actuelle (Le rang du lion) à Auschwitz durant la Shoah (Le fils de Saul), en passant par le New York des années 1950 (Brooklyn). De la variété, donc, mais de la qualité, surtout. Prenez le film Fatima, un voyage plutôt intérieur, celui-là basé sur les Mémoires de Fatima Elayoubi, et que le cinéaste Philippe Faucon est venu présenter.
Une Française d’origine marocaine qui, faute de maîtriser le français, vit un grand isolement avant de recouvrer une voix, sa voix, Fatima est mère de deux filles : Souad, 15 ans, et Nesrine, 18 ans. La cadette est au bord du décrochage tandis que l’aînée entame des études en médecine. Fatima voudrait qu’elles se forgent une meilleure vie que la sienne, et elle trime dur pour faire en sorte que cela se produise. En sous-titre, on pourrait surnommer cette femme de ménage courageuse « la mère Goriot ».
« Après avoir lu son livre Prière à la lune, j’ai voulu connaître Fatima Elayoubi, se souvient Philippe Faucon. Il faut savoir que durant toute sa vie de femme immigrante installée en France, elle a tenu ce journal, une espèce de grand cahier dans lequel elle rendait compte de son quotidien. Elle recourait aussi à des poèmes… C’est une forme forcément très introspective. Ce qui en ressort, c’est la frustration qui découle du manque de communication avec ses filles, qui elles vivent en français. Son désir de rétablir cette communication avec elles est un moteur. Cela, et aussi son souci presque maladif de les voir réussir, de les voir s’épanouir. »
Fatima Elayoubi, elle, a été déscolarisée enfant, à neuf ans, alors qu’elle était consciente de son potentiel scolaire.
« Elle écrit avoir ressenti cela comme une aiguille enfoncée dans le coeur », note le cinéaste.
Une personnalité très riche
Entre abnégation et pression, Fatima couve donc sa progéniture autant qu’elle la pousse. Avec à la base une héroïne tributaire d’un parcours aussi particulier, trouver la bonne comédienne ne fut pas chose aisée.
« On a organisé des auditions avec les quelques actrices professionnelles qu’on estimait pouvoir être crédibles, mais ça n’allait pas. C’est un personnage muet, privé d’expression en société. Fatima est l’une de ces nombreuses femmes invisibles indispensables, mais déconsidérées. En même temps, elle est hors norme. Toute seule, de façon complètement autodidacte, elle est parvenue à reconquérir sa personnalité, une personnalité très riche, très forte. Elle s’est raccrochée à ce qui lui est le plus précieux après ses filles : sa langue. D’abord privée, cette expression-là a éventuellement mené à son ouverture au monde. »
« Mais bref, pour jouer cela, tout cela, une actrice qui dans les faits maîtrise le français, ça sonnait faux. Je n’y croyais pas. J’ai donc décidé de prendre un risque en cherchant une non professionnelle. »
Après un détour au Maroc, c’est finalement à Lyon que Philippe Faucon a déniché sa Fatima : Soria Zeroual.
Un beau succès
Un projet de passion, un projet de coeur, Fatima constitue plus qu’un simple film pour le cinéaste.
« C’est une expérience humaine inoubliable qu’on a vécue, tous », confie-t-il.
À noter que Fatima connaît un beau succès critique et populaire en France (plus de 120 000 entrées lors des deux premières semaines). Vrai que depuis sa sélection à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs, des échos élogieux le précédaient. Qui plus est, la question de l’intégration demeure, là-bas comme ici d’ailleurs, dans l’air du temps.
Au Québec, un embargo critique empêche pour l’heure d’écrire tout le bien qu’on a pensé du film. On y remédiera lors de sa sortie en salle prévue le 27 novembre.
François Lévesque se trouve à Rouyn-Noranda à l’invitation du FCIAT.