Vivre ou mourir sur les rives de Trois-Pistoles

Plusieurs films québécois abordent la quête d’identité masculine à travers les relations père-fils, en milieu rural. Le garagiste, en salles dès vendredi, vient jouer dans ces eaux-là. Renée Beaulieu, qui réalise ici un premier long-métrage, vous dira que son histoire est surtout collée à une trajectoire familiale et personnelle. Au départ pharmacienne, sans avoir beaucoup pratiqué sa profession, elle a traité le cas d’un quinquagénaire en dialyse qui avait une foule de médicaments à prendre. L’aventure du fils secret est celle de son grand-père. Ajoutez son propre désir d’aborder des histoires d’amour atypiques.
L’action se déroule à Trois-Pistoles, où elle est née et a grandi. « Et ce village a beaucoup de signification pour moi. Les roches ont connu ma solitude et mon ennui. Je m’imprégnais d’elles. La dignité, la liberté, l’identité de mes racines sont là-bas, comme le film. La nature possède un rapport avec l’absolu. Elle nous dépasse, et ceux qui cherchent à la contrôler n’y parviennent pas. »
Dans Le garagiste, Adrien, un homme d’une cinquantaine d’années souffrant d’insuffisance rénale (excellent Normand D’Amour), en traitement de dialyse, traverse un tourbillon émotif avec les retrouvailles d’un amour de jeunesse (Louise Portal), en se découvrant un fils inconnu et après une greffe de rein ratée. Épanoui dans son garage auprès de son père (Michel Dumont), d’un nouvel apprenti (Pierre-Yves Cardinal) et malgré l’amour de sa compagne de vie (Nathalie Cavezzali), il sera appelé à choisir entre la vie et la mort.
Renée Beaulieu, dont le film s’inscrit dans le débat actuel sur l’euthanasie, affirme ses positions : « Je trouve anormal qu’on ne puisse choisir sa mort comme on peut décider ou non de donner la vie. Il s’agit une décision individuelle, mais tout le débat qui l’entoure est posé à l’intérieur du groupe social, en héritage religieux. »
Un film de gars
Normand D’Amour, si impressionnant ces temps-ci au TNM en capitaine Achab dans Moby Dick, est un comédien qui se démultiplie sur les planches, au grand comme au petit écran. « Mais j’ai trouvé dans Le garagiste un rôle incroyable. J’aime les films où le public a besoin d’imaginer parfois son propre scénario. Et puis mon frère était en train de mourir du cancer à ce moment-là et je pensais à lui en jouant cet homme malade, qui prend la décision d’arrêter ses traitements. Pour incarner ce type de personnage, j’entre dans sa respiration. Quand les reins ne fonctionnent plus, les personnes se noient dans leurs sécrétions. Durant les scènes de dialyse à l’hôpital, j’étais entouré de vrais patients. Ça m’aidait aussi à comprendre cet Adrien placé devant l’acceptation de sa propre condition. »
Renée Beaulieu, qui a scénarisé Le ring d’Anaïs Barbeau-Lavalette, a mis du temps avant de réaliser Le garagiste, tourné en 16 jours. Après une série de refus des institutions, son scénario restait dans un tiroir, dont elle l’a ressorti en injectant 20 000 $ de ses poches. « Les acteurs étaient payés 100 $ par jour. Le directeur photo, Philippe Saint-Gelais, vient du documentaire et ça se sent. Au début du film, les personnages sont importants, mais ensuite la nature envahit le champ. »
Normand D’Amour était ravi de travailler avec cette équipe-là. Il avait conseillé d’embaucher Michel Dumont pour jouer son père, filiation déjà en place à travers la série Yamaska. « Et puis, ça fait du bien aux gars qu’on fasse des films sur eux depuis quelque temps, estime l’acteur. Moi, je suis un homme qui braille, mais il y en a d’autres qui continuent à ne pas pouvoir exprimer leurs émotions, comme nos pères. Le mien avait dû se faire couper les deux jambes, et ne se plaignait jamais. Une fois, il a dit seulement : “ Je m’ennuie de courir vite dans un champ. ” Il ne me déclarait pas “ je t’aime ” non plus, mais me le montrait autrement. »
Renée Beaulieu, après avoir réalisé « un film de gars », se tournera ensuite vers les femmes : « Mon prochain sera féministe et abordera l’infidélité féminine », assure-t-elle.