Entre Johnny Depp et Nanni Moretti

Bon ! La rue près du Bell Lightbox était bloquée lundi. Les photographes n’en avaient que pour Johnny Depp. Une foule hystérique ressemblait aux gouttes amalgamées d’une mare devant l’idole.

Les badauds trouveraient Depp sans doute trop enlaidi dans le Black Mass, de Chris Cooper, qui nous vaut sa venue. Les traits tirés, masqués du haut pour créer la semi-calvitie. Et pourtant… Ça faisait longtemps qu’il n’était pas sorti des rôles de composition gentillets pour endosser un personnage de chair et d’os. Le voici concentré, sans âme, d’une force de frappe qu’on ne lui connaissait plus. Et d’entrer dans la peau de James (Whitey) Bulger, chef de la mafia irlandaise à Boston au cours des années 80 doublé d’un indicateur du FBI. Le cinéaste Chris Cooper l’admettait : « Il est difficile de marcher sur les pas de Scorsese et de Coppola… » Moins fort que les Parrain et Goodfellas de ses aînés tout de même.

Depp déclare s’être senti investi d’une responsabilité en endossant un personnage qui a bel et bien existé, tentant de comprendre : « Personne ne se brosse les dents devant le miroir le matin en se disant : je suis un démon. » Il a tenté de communiquer avec son modèle, qui croupit en prison, mais l’octogénaire déclina l’invitation. La star qui s’était beaucoup documentée est fière d’elle : « Si tu as l’impression d’avoir rendu service au cinéaste, à toi-même, à l’auteur, j’appelle ça un succès. Le box-office, c’est autre chose ! »

La pieuvre est populaire au TIFF. Même l’Indo-Canadienne Deepa Mehta s’y frotte en revêtant les couleurs de Bollywood pour aborder la mafia indo-canadienne de Vancouver dans Beeba Boys.

Autre thématique récurrente : les films qui glorifient le métier de journaliste, à l’heure où la profession décline. En des temps plus glorieux (1976, plus exactement) All The President’s Men, d’Alan J. Pakula, avait brillamment remonté la source des journalistes du Washington Post à l’origine du Watergate. Ici, on dit grand bien de Truth, de James Vanderbilt (pas vu), mais Spotlight, de Tom McCarthy, avec Mark Ruffalo, Michael Keaton, etc. est platement réalisé. Dommage ! Car le sujet passionne : l’enquête véridique d’une équipe du Boston Globe en 2001, pour révéler au grand jour les camouflages des primats catholiques sur les crimes pédophiles de plusieurs prêtres de la ville.

Côté pédophilie, le cru, le percutant, l’extraordinaire film chilien El Club, de Pablo Larrain, grand prix du jury à Berlin, relancé au TIFF, est l’oeuvre à voir. À travers un suffoquant huis clos, des prêtres « tombés » retirés dans une maison de bord de mer, sous la supervision d’une ancienne religieuse, révèlent peu à peu leurs petits secrets, alors qu’une victime les traque. Des prouesses d’interprétation, des dialogues d’un cynisme inouï ; Spotlight à côté de ça…

D’autres films québécois cette semaine au TIFF

Je quitte Toronto, mais deux films québécois, déjà projetés au Festival de Locarno, auront leur sortie nord-américaine cette semaine au TIFF. On y reviendra plus longuement à l’heure des sorties. Quelques mots quand même pour saluer le très émouvant Les êtres chers, d’Anne Émond (cinéaste de Nuit #1), variation poignante et mélancolique sur la famille, la dépression congénitale, le suicide d’un père (Maxim Gaudette) et les répercussions sur sa fille (Karelle Tremblay). Ce sujet sombre offre un hymne à la vie.

Guibord s’en va-t-en-guerre, de Philippe Falardeau, n’a ni l’impact ni la profondeur de ses Monsieur Lazhar et Congorama. Mais cette satire politique rebondissante révèle des zones d’ombre chez Patrick Huard, en député de région éloignée en prises de décisions cruciales, dans un environnement explosif. On rit, mais le film surfe sans plonger sur plusieurs sujets intéressants, dont les droits autochtones.

 

J’ai rencontré le cinéaste italien Nanni Moretti, qui déteste les interviews et les accepte en regardant ailleurs. Il est ici pour Mia Madre, lancé d’abord à Cannes. Son film est… dans sa langue, l’italien, rare phénomène, au milieu du tout-à-l’anglais qui déferlait sur la Croisette : « Le danger, en délaissant sa langue, c’est de perdre l’ancrage social, de devenir superficiel et de créer des oeuvres internationales hybrides. » Bien vrai !

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