La comédie humaine

Écrit par Louis Morissette et réalisé par Ricardo Trogi, Le mirage réussit là où Le règne de la beauté de Denys Arcand échouait, soit à livrer une radiographie juste et grinçante de notre société de surconsommation. Et si c’était ça, la comédie de l’été?
À quelques jours de sa sortie, Louis Morissette et Ricardo Trogi présentent Le mirage à travers le Québec. D’une ville à l’autre, le constat est le même : les femmes demandent aux hommes s’ils leur cachent autant de choses que le personnage qu’incarne Morissette, et ceux-ci admettent se reconnaître dans le cruel miroir que leur tend le film. Bien qu’ils rient à plusieurs moments, les spectateurs mangent quelques coups sur la gueule tout au long de ce portrait d’un « homme qui fonce droit dans le mur sans se voir aller », tel que le décrit le scénariste.
Sur papier, l’union entre le réalisateur de 1987 et Louis Morissette peut paraître surprenante, le premier cultivant la légèreté, le second, un humour plus corrosif. Or, à l’écran, cette collaboration semble aller de soi. « On a d’excellents réalisateurs, mais beaucoup plus en drame qu’en comédie, explique Morissette. Je voulais quelqu’un avec le même niveau d’humour que moi en comédie. Le premier sur la liste, c’était le gros Trogi. Ce que je voulais chez Ricardo, c’est le réalisme. Sur le plateau, j’ai compris que c’était un gars extrêmement instinctif. Autant il parle tout le temps, quand il dirige les acteurs, il dit très peu de mots. C’est ce qui fait que ça sonne toujours vrai. »
Pour Ricardo Trogi, c’est la vérité du scénario de Louis Morissette, écrit avec la collaboration de François Avard, qui l’a convaincu de le mettre en images : « En le lisant, je me disais que c’était drôle, car c’était la vie d’un type qui ressemblait à la mienne, reconnaît le réalisateur. Dès que j’ai une hésitation, je demande toujours l’opinion de mon premier assistant, car elle est très importante pour moi. Quand il m’a dit que ça ressemblait à sa vie, j’ai compris que Louis avait mis le doigt sur la situation du Québécois moyen pris dans une espèce de roue et dans laquelle plusieurs d’entre nous se retrouvent. »
« On a l’impression de voir notre voisin, notre beau-frère, notre soeur… Moi-même, je ne suis pas complètement à l’extérieur du modèle », reconnaît l’acteur et scénariste.
Homme à la dérive
Gérant d’un magasin d’articles de sport dans une banlieue cossue, Patrick Lupien (Morissette) a tout pour être heureux : une épouse idéale (Julie Perreault), deux beaux enfants, une grosse cabane, une piscine, un spa, etc. Or, depuis quelques mois, sa femme est en surmenage, les enfants sont capricieux, sa vie sexuelle se résume à consommer de la porno en ligne, les clients se font plus rares et les dettes s’accumulent. Enviant le train de vie de pacha de son ami dentiste (Patrice Robitaille), il désire plus que tout la superbe compagne de celui-ci (Christine Beaulieu).
Devant cet univers petit-bourgeois peuplé de personnages rongés par l’ennui et obsédés par leur confort, certains films d’Arcand reviennent en mémoire : « Quelqu’un m’a dit que c’était mon Déclin…, confie Louis Morissette. C’est un arrêt sur image sur la société dans laquelle je suis. Oui, c’est une critique de cette société, même si je persiste à répéter que c’est un divertissement. Je ne suis pas parti en me disant que j’allais passer un message. Pour moi, le message passe à travers le réalisme de la chose. »
À l’instar de C. A., télésérie écrite par Louis Morissette, la sexualité se retrouve au premier plan dans Le mirage. D’un commun accord, Trogi et Morissette ont toutefois retiré une scène où Patrick allait très loin dans l’exploration de sa sexualité : « Je voulais être capable d’assumer ce qu’il fait, avoue le cinéaste. Habituellement, j’assume à 100 %, puisque ce sont mes histoires ; là, c’est à 90 %. J’accepte ce qu’il fait, car ce n’est pas impossible. »
« J’ai travaillé avec une sexologue afin de valider ce que je pensais, révèle Morissette. Je pense qu’on banalise la sexualité. L’une des scènes très fortes, c’est lorsque sa femme ferme les yeux quand il se masturbe dans leur lit. La scène vient donner beaucoup de jus au personnage principal. À partir de ce moment-là, on comprend qu’elle a fermé les yeux sur son malheur. Le sexe, c’est très important, c’est pas quelque chose qu’on peut mettre sous le tapis. Pour moi, c’est comme rebrancher son téléphone afin qu’il reparte : alors pourrais-tu te rebrancher sur ta femme aussi ? »
Le mirage prendra l’affiche le 5 août.