Mièvre virée en Amérique

Le type de cinéma auquel Jean-Pierre Jeunet est abonné jongle avec le conte merveilleux et exige une pulsion renouvelée. Or, des longueurs d’un bout à l’autre de sa trajectoire l’étiolent.
Photo: Films Séville Le type de cinéma auquel Jean-Pierre Jeunet est abonné jongle avec le conte merveilleux et exige une pulsion renouvelée. Or, des longueurs d’un bout à l’autre de sa trajectoire l’étiolent.

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet, tourné en anglais, est pour le père d’Amélie Poulain le film de bien des premières. Premier film en partie canadien, puisqu’il fut tourné à Montréal et en Alberta. Premier film en 3D (mais il se voit aussi en 2D). Premier film sans son directeur photo attitré : Bruno Delbonnel (remplacé par Thomas Hardmeier). Il est aussi le seul de ses films qui n’ait pas atteint le million de spectateurs en France lors de sa sortie en 2013. Même échec public aux États-Unis. Au Québec, il fit longtemps antichambre avant de prendre l’affiche.

Pour ceux qui aiment le délire visuel et l’inventivité stylistique, cette adaptation d’un roman du jeune Américain Reif Larsen peut constituer un divertissement. Les décors grouillent de détails délirants et certains gags visuels sont drôles, mais on dirait du Wes Anderson en beaucoup moins bien, et L’extravagant voyage... ne lève pas, faute surtout de trouver sa cadence.

Le type de cinéma auquel Jeunet est abonné jongle avec le conte merveilleux et exige une pulsion renouvelée. Or des longueurs d’un bout à l’autre de sa trajectoire l’étiolent. Par ailleurs, le jeune Américain Kyle Catlett manque de charisme et le film ne peut reposer sur ses frêles épaules.

Il faut dire que Jeunet sombre dans le cliché américain nostalgique avec ferme dans la prairie — comme une visite à travers les tableaux de genre de Grant Wood. Ajoutez lepériple clandestin en train, à l’instar des hobos durant la Grande Crise. Toute cette imagerie — dont les stands à hot dogs façon fifties et les talk-shows télévisés débiles — revue à travers le fantasme européen des grands espaces sent le réchauffé.

L’histoire est celle d’un enfant de dix ans, T. S. Spivet (Catlett), élevé dans une ferme du Montana par une mère entomologiste (Helena Bonham Carter, sur le pilote automatique) et un père se prenant pour un cow-boy du XIXe siècle (Callum KeithRennie, très faiblard), aux côtés d’une soeur ado (Niamh Wilson, tonique) qui rêve de devenir Miss America. Unsecret de famille alourdit l’atmosphère tandis que le jeune garçon, génie inventeur, a mis au point une mécanique de mouvement perpétuel. Or les huiles du Smithsonian à Washington veulent lui décerner leur grand prix. Le voici donc en route, avec rencontres furtives, désillusions et révélation tire-larmes durant son discours sur une tragédie familiale. Sa voix hors champ alourdit le périple et la matérialisation de ses pensées sent vite le procédé.

La grande actrice australienne Judy Davis, dans sa composition drôle et hystérique de la vilaine directrice du Smithsonian toujours au bord de la crise de nerfs, est le radeau qui sauve la distribution du naufrage. Quant au dénouement, mièvre et convenu (il n’est de bonheur qu’au foyer), il paraît plus hollywoodien que nature.

L’extravagant voyage du jeune et prodigieux T. S. Spivet (V.F. de The Young and Prodigious T. S. Spivet)

★★

Réalisation : Jean-Pierre Jeunet. Scénario : Jean-Pierre Jeunet, Guillaume Laurant, d’après le roman de Reif Larsen. Avec Kyle Catlett, Helena Bonham Carter, Callum Keith Rennie, Niamh Wilson, Judy Davis, Robert Mallet, Dominique Pinon. Image : Thomas Hardmeier. Musique : Denis Sanacore. Montage : Hervé Schneid. France-Canada, 2013, 106 minutes.