Jeune révolutionnaire bourgeois recherche identité

Après Laurentie, le réalisateur Mathieu Denis revisite l’histoire récente du Québec dans Corbo, quête identitaire où le jeune comédien Anthony Therrien campe le rôle du jeune felquiste tué par l’explosion de sa propre bombe.
Photo: Annik MH De Carufel Le Devoir Après Laurentie, le réalisateur Mathieu Denis revisite l’histoire récente du Québec dans Corbo, quête identitaire où le jeune comédien Anthony Therrien campe le rôle du jeune felquiste tué par l’explosion de sa propre bombe.

Quatre ans après le radical Laurentie, réalisé avec Simon Lavoie, Mathieu Denis revient en force avec Corbo, drame historique tourné à hauteur de jeune révolutionnaire.

Né d’une mère québécoise (Marie Brassard) et d’un père italien (Tony Nardi), résidant à Mont-Royal, Jean Corbo (Anthony Therrien) fréquente un collège privé où il fait son cours classique. Avec son frère aîné (Jean-François Pronovost), il discute de l’avenir du Québec. Le 14 juillet 1966, alors qu’il dépose une bombe à l’usine Dominion Textile, il entre tragiquement dans l’histoire. Il n’avait que 16 ans.

Marqué à vif par le récit de ce jeune felquiste que lui avait raconté son père dans sa jeunesse, le cinéaste Mathieu Denis se défend d’avoir voulu faire l’apologie du terrorisme, pas plus qu’il voulait faire de Corbo une figure romantique à la Che Guevara. « Je voulais parler du monde dans lequel on vit, explique le réalisateur. Dans le cas de cet Italo-Québécois qui cherche à comprendre qui il est, on plonge dans la quête identitaire du Québec d’aujourd’hui. »

Corbo raconte les derniers mois de la courte existence de ce révolutionnaire issu de la classe bourgeoise alors qu’il s’adapte difficilement à son nouveau collège, essuie les moqueries de ses camarades qui le traitent de « Wop » et découvre l’existence d’une cellule felquiste à laquelle appartiennent deux jeunes de son âge issus de la classe ouvrière (Antoine L’Écuyer et Karelle Tremblay).

« Je voulais qu’on comprenne l’époque sans que le film dicte au spectateur sa façon de penser, poursuit-il. Il existe une complexité dans ces groupes-là ; ce ne sont pas tous des jusqu’au-boutistes comme Mathieu [Francis Ducharme]. »

Portant le film sur ses épaules, Anthony Therrien, qu’on a notamment pu voir dans Le torrent, magnifique adaptation du récit d’Anne Hébert par Simon Lavoie, a voulu dévoiler l’être humain derrière l’idéaliste. « C’était un honneur de rendre hommage à la fougue et à la jeunesse de Jean Corbo. Les uns diront que c’était un fou furieux se battant peine perdue pour des idéologies, les autres diront que c’était un héros se battant pour l’indépendance nationale comme tout Québécois devrait le faire. Sans nécessairement être l’un ou l’autre, Jean est un bel exemple de détermination. »

L’histoire bégaie

Faisant revivre un Québec marqué par de nombreuses grèves et par l’austérité, Mathieu Denis tend pour ainsi dire un miroir du Québec d’aujourd’hui. « Le destin du Québec demeure toujours en suspens, avance le réalisateur. On a dit non deux fois à l’idée d’être un pays sans mener la réflexion pour savoir qui nous sommes vraiment. On se définit beaucoup par la négative : ni Québécois ni Canadien. On n’apprend pas de notre histoire. En fait, on ne s’en souvient pas du tout. Si on ne connaît pas notre histoire, on est condamné à la répéter. »

Si l’histoire se répète, que reste-t-il des Jean Corbo de l’époque ? « Les gens ont peur de s’engager, constate Anthony Therrien. Dans ses idéologies et dans sa détermination, Jean Corbo existe encore dans chaque étudiant qui manifeste dans la rue. J’espère que les gens n’utiliseront pas la violence comme moyen de persuasion. Avec tout ce qui se passe dans le monde, comme le récent massacre au Kenya, je crois qu’il y a déjà assez de violence. »

Appartenant à une génération apolitique, Mathieu Denis s’interroge pourtant sur la mollesse de l’engagement de ses concitoyens. Bien qu’il n’idéalise pas les actes du FLQ, force lui est de reconnaître la conviction que les felquistes qu’il a rencontrés au cours de ses recherches avaient de pouvoir changer le monde. « Ils avaient le sentiment d’avoir prise sur le monde où ils vivaient, et collectivement. Aujourd’hui, on a l’impression qu’on n’a plus prise sur le monde. On est résignés, on se laisse porter. Ce ne peut être que néfaste. Qu’est-ce qui fait qu’on a changé à ce point-là ? »

Ayant présenté Corbo dans différentes villes canadiennes, à des publics hostiles à l’idée de voir un film sur un felquiste, Mathieu Denis a pu constater que les spectateurs changeaient de point de vue après la projection. En cette époque où des jeunes d’ici et d’ailleurs s’engagent dans des groupes fondamentalistes religieux, le cinéaste voit dans cette ouverture d’esprit un début de solution à ce problème grandissant.

« La question que l’on doit se poser, c’est qu’est-ce qui amène un jeune de 18 ans à adhérer à une idéologie aussi rétrograde, aussi violente ? On devrait se poser des questions sur ce monde individualiste et matérialistequ’on leur offre. Je comprends que certains refusent ce monde vain, mais le problème, c’est qu’il n’existe aucune autre option. Il faut essayer de comprendre la manière de penser de ces jeunes-là, de ne pas croire qu’ils ne sont que des têtes brûlées influençables. On a accusé Jean Corbo d’être ainsi, mais mes recherches m’ont prouvé que ce n’était pas que ça. Si l’on ne cherche pas à comprendre pourquoi des jeunes posent certains gestes, l’histoire ne fera que se répéter. »

Corbo prendra l’affiche le 17 avril.