Les visages kurdes du front irakien

Pendant que la coalition internationale s’attaque au groupe État islamique du haut des airs, la présence de l’organisation terroriste en sol irakien fait des ravages que les bulletins de nouvelles occidentaux ne montrent pas, ou si peu. Ce sont donc les visages de ces soldats à court de ressources, de ces réfugiés laissés à eux-mêmes et de ces habitants pris en otage que le documentariste québécois Julien Fréchette a voulu montrer en se rendant cet automne, caméra à l’épaule, au coeur du Kurdistan irakien.
Le réalisateur est revenu au pays avec des images saisissantes, mais surtout des témoignages bouleversants présentés dans Kurdistan, de gré ou de force, qui sera présenté lundi à RDI. Un documentaire qui propose un portrait éclaté mais poignant présentant toutes les facettes d’une guerre que ses victimes n’ont pas choisie.
« Ne paniquez pas », affirme à la caméra un soldat kurde, d’un calme désarmant, au moment où le bruit des tirs ennemis retentit au loin. Nous sommes sur la ligne de front de Kirkouk, au nord de l’Irak, où les Peshmergas — les forces armées du Kurdistan irakien — tentent de défendre leur territoire.
« Quand on arrive, on a un peu l’impression de se retrouver à une autre époque. C’est presque la Première Guerre mondiale : il y a des tranchées, chacun est de son côté, il y a des attaques répétées, raconte M. Fréchette. C’est un peu surréaliste. On est sur une base militaire, on dort avec des combattants, on est à 500 mètres de la ligne de front et la vie continue malgré tout. »
Peuple méconnu
Cette première scène donne le ton au documentaire et illustre l’objectif du projet lancé en 2010 par Julien Fréchette et son collègue Guertin Tremblay. À l’époque, ce dernier consacre son mémoire de maîtrise à la complexe question de l’identité kurde et propose d’y consacrer un documentaire. L’idée germe jusqu’en 2014, lorsque l’EI fait son apparition en Irak et que les Kurdes apparaissent aux yeux de la planète grâce à leurs combats sur le terrain. Le documentaire trouve alors sa raison d’être : montrer la réalité d’un peuple méconnu.
Le Kurdistan, c’est en fait un large territoire qui chevauche quatre États : la Syrie à l’ouest, la Turquie au nord, l’Iran à l’est et l’Irak au sud. Avec ses 35 millions d’habitants, il s’agit du « plus grand peuple sans État », souligne le documentaire. Un peuple fier et prêt à tout pour protéger ses acquis, comprend-on au fil des histoires qui nous sont racontées.
Loin des zones de combat, Julien Fréchette nous emmène là où on lutte malgré tout pour sa survie. « C’est une guerre qui fait beaucoup de ravages et qui, humainement, est très difficile à vivre », dit-il.
On visite un camp de réfugiés syriens, où les installations sont insuffisantes pour le nombre de personnes dans le besoin. Un autre de chrétiens, qui ont été chassés et persécutés. Et on y écoute le récit de réfugiés comme Hannah, cette dame qui dit avoir presque tout perdu. « Toutes les nuits, je rêve que l’EI vient nous tuer, confie-t-elle, assise au milieu de la tente qui lui sert d’abri. Nous ne sommes en sécurité nulle part en Irak. »
Témoignages troublants
Des témoignages touchants, Julien Fréchette en a entendu des dizaines. Mais il admet que ses rencontres les plus marquantes ont eu lieu dans le camp des Yézidis, une minorité religieuse particulièrement ciblée par l’EI. « On a rencontré un jeune garçon qui a perdu sa mère. Il a essayé de la traîner sur son dos pendant des kilomètres et elle est finalement morte dans ses bras. Il a dû l’abandonner sur la route de l’exode. Ce sont des témoignages assez troublants. »
Dans ces camps de réfugiés, on ressent à la fois la fierté et la profonde détresse de ces familles déchirées. À l’intérieur des habitations de fortune, des enfants au visage assombri par le dur quotidien dessinent en groupe. Sur la feuille d’un d’entre eux, un char d’assaut se mêle aux arbres et aux montagnes. Faute de ressources pour éduquer ces jeunes, on verra grandir une génération d’analphabètes dont se nourrissent les intégristes, soulèvent avec inquiétude certains réfugiés.
Le documentariste conclut son périple irakien avec une visite du camp d’entraînement du PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan, qui est considéré comme une organisation terroriste par plusieurs pays, dont le Canada. Un endroit reculé où n’entre pas qui veut. Sur place, on découvre la réalité de femmes qui choisissent de prendre les armes pour défendre, elles aussi, le Kurdistan. « J’ai rejoint le PKK pour me battre pour la liberté de mon peuple, la liberté des femmes et de l’humanité », lance une commandante qui a plusieurs soldats, mais surtout plusieurs soldates sous son autorité.
Julien Fréchette espère que son documentaire ouvrira les yeux de la population sur l’existence même du Kurdistan, trop souvent méconnu, mais surtout sur ceux qui y vivent. La réalité peut nous surprendre lorsqu’on s’en approche, laisse-t-il entendre, évoquant un possible retour au Kurdistan, sous peu.