Voyage en empathie avec François Delisle

«Chorus», de François Delisle, compte Fanny Mallette dans sa distribution.
Photo: Larry Busacca Getty Images Agence France-Presse «Chorus», de François Delisle, compte Fanny Mallette dans sa distribution.

Après un rendez-vous manqué, on s’est concocté une entrevue, assis dans les escaliers dérobés de l’ambassade canadienne, seul endroit tranquille durant la réception de Téléfilm Canada pour ses talents nationaux à la Berlinale.

En haut des marches, la fête battait son plein. On y croisait des cinéastes, comme Guy Maddin et Mathieu Denis, bien des gens de l’industrie, abeilles qui butinent et fertilisent les films.

Plus tôt dans la journée, on avait vu le film Chorus — sélectionné dans la section Panorama — au Kino International, sur l’allée Karl-Marx. Avant la chute du Mur, c’était le cinéma des grandes premières en Allemagne de l’Est. Le passé suinte des murs et le cinéaste montréalais aimait rencontrer le public dans cette belle salle-là, pleine à craquer.

Moins nerveux qu’à Sundance, où son film avait été lancé et bien reçu, François Delisle sentait le courant passer, comme pour son précédent, Le météore, également à Berlin l’an dernier. « Les gens entrent en empathie avec les personnages de mon film », constate-t-il. D’autant plus que ce drame aurait pu frapper n’importe quelle famille.

Chorus suit deux époux séparés après la disparition de leur fils de huit ans. Une décennie plus tard, Irène (Fanny Mallette) et Christophe (Sébastien Ricard), à la suite des aveux du pédophile assassin, se retrouvent pour l’enquête et les funérailles. Lui vit au Mexique sans entraves et sans but. Irène est restée sous le choc à Montréal et fait payer à sa mère (Geneviève Bujold) le poids de ses rancoeurs. Pierre Curzi incarne le père de Christophe.

Chorus, moins expérimental que Le météore, puissant dans sa charge émotive, cadré au scalpel, porté par son extraordinaire quatuor d’acteurs, touche au coeur. L’image en noir et blanc ajoute à son esthétique un mystère et à sa tragédie, un poids de symboles. Plus fragile au début, il plonge bientôt dans ses personnages en tortures intérieures.

« Dès l’étape de l’écriture, j’ai compris que tout fonctionnerait dans les teintes de gris, que le noir et blanc m’aiderait à entrer dans le domaine du rêve ». Il avait entamé le projet en 2008, douta, tâtonna, tourna Deux fois, une femme et Le météore, reprit les rênes.

C’est son sixième long métrage depuis Ruth en 1994, mais il signait déjà des courts métrages en 1989. Delisle est à la roue et au moulin, du scénario au montage, avec un « avant » et un « après ». « Le météore a été le tournant dans ma façon de concevoir mon cinéma », dit-il. Le succès de ce film l’a rendu plus libre côté budget, mais non moins exigeant. « Je me sens comme un sculpteur proche de la matière. Ce qui m’intéresse, c’est l’acteur, l’être humain. »

Il avoue n’avoir pas porté attention à la frappante ressemblance entre Geneviève Bujold et Fanny Mallette comme mère et fille. « L’important pour moi est de trouver les interprètes parfaits pour le rôle. Et j’ai vécu une grande connivence avec les acteurs du film. Mais la ressemblance ne nuit pas, c’est sûr… »

Chorus aborde avec profondeur et acuité la vulnérabilité de la conscience humaine et la difficulté de communiquer. Chacun réagit avec ses propres peurs, révoltes, ou écrans de fumée. « Mais pour moi, vivre, c’est justement apprendre à perdre dans une société qui fait abstraction de la mort, conclut le cinéaste. Je plonge dans la douleur de mes personnages en essayant de leur trouver une échappatoire. Car si la plaie guérira, la cicatrice va rester. »

 

Productions d’époque

Apprécié ici, Le journal d’une femme de chambre de Benoît Jacquot, après les adaptations de Renoiret de Buñuel du même roman d’Octave Mirbeau. Le cinéaste français trouvait les films antérieurs si différents l’un de l’autre qu’il se sentait libre de réinterpréter l’histoire. « Et puis, confiait-il en entrevue au Devoir, j’aimais l’idée de le lancer à Berlin. Les Français font porter aux Allemands tout le poids de l’antisémitisme, alors qu’il s’est développé en amont en France durant l’affaire Dreyfus. »

Rappelons que ce roman, situé au début du XXe siècle, auquel Jacquot s’est voulu fidèle, retrace les aléas d’une jolie femme de chambre (Léa Seydoux), en butte à la tyrannie de ses maîtres et à leurs caprices sexuels, qui s’entiche du valet (Vincent Lindon) de sa nouvelle patronne, un homme mauvais, antijuif, assassin présumé, pour mieux s’enfuir.

Sans la charge symbolique de Buñuel, hors du champ de l’adaptation trop convenue de Renoir, Benoît Jacquot — quand même bien classique sauf au dénouement — colle sa caméra aux basques des comédiens. À la cruauté de sa société de caste, le sourire ambigu de Léa Seydoux et la grogne de Vincent Lindon confèrent une actualité troublante.

Les films d’époque se bousculent à Berlin. Mr. Holmes, de l’Américain Bill Condon (Dreamgirls), possède un atout majeur : la présence de l’acteur britannique Ian McKellen campant avec brio un vieux Sherlock Holmes, à moitié Alzheimer, qui revoit par bribes ses enquêtes passées. Un scénario alambiqué, mais une réalisation solide et une immense leçon d’acteur !



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