Qui a peur de Mike Nichols?

Dustin Hoffman et Anne Bancroft dans Le lauréat (The Graduate), sorti en 1967
Photo: MGM/Studio Canal Dustin Hoffman et Anne Bancroft dans Le lauréat (The Graduate), sorti en 1967

La mort subite du cinéaste Mike Nichols le 19 novembre dernier a surpris tout le monde. Malgré un âge fort respectable de 83 ans, le cinéaste affichait en effet une forme splendide au moment de reprendre le classique d’Harold Pinter Trahisons, avec Daniel Craig et Rachel Weisz, l’un de ses plus gros succès critique et populaire sur Broadway. À cet égard, il y a une certaine poésie à ce qu’il eût terminé son illustre carrière là où il l’avait commencée. Or, le metteur en scène aux neuf prix Tony était également détenteur d’un Oscar pour la réalisation du chef-d’oeuvre Le lauréat, son second film seulement après le tout aussi magistral Qui a peur de Virginia Woolf ?. Pour apprécier, et pour se souvenir, la Cinémathèque québécoise les présentera tous deux du 7 au 9 janvier.

Sorti en 1966 et basé sur la pièce d’Edward Albee, Qui a peur de Virginia Woolf ? relate une soirée trop arrosée qui dégénère en jeu de massacre entre deux hôtes chicaniers, elle (Elizabeth Taylor, sidérante), la fille du doyen de l’université, lui (Richard Burton, brillant), un professeur d’histoire, et leurs invités, un jeune couple naïf.

« Certains ratés ne peuvent pas supporter la valeur et le mérite des autres. La faiblesse, le vice et la médiocrité ont horreur de la force, de l’innocence et de la bonté » : cette réplique illustre parfaitement l’enjeu qui se cache derrière l’argument. Ainsi, alors qu’à l’avant-scène, les vieux amants aigris s’invectivent à qui mieux mieux, en coulisse, c’est l’union de leurs cadets inexpérimentés qu’ils minent avec une toxicité consommée.

Cette double intention, le cinéaste en était pleinement conscient. « Un bon film est à propos d’une chose, mais également d’une autre », déclara-t-il à ce propos. Cette philosophie, Mike Nichols s’y tint sa carrière durant. Son film suivant, Le lauréat, en constitue un exemple patent.

La grande séduction

 

Le lauréat désigne Benjamin Braddock (Dustin Hoffman, star en devenir), un étudiant amorphe qui, après s’être illustré au collège, rentre chez ses parents. S’il n’a aucune idée de ce qu’il désire faire du reste de sa vie, il sait en revanche qu’il ne veut pas de celle que mènent ses parents. Ostentatoire, son mépris pour un milieu bourgeois et superficiel cache un désarroi existentiel profond.

Benjamin est certes le personnage principal, mais celui de Mrs. Robinson (Anne Bancroft, inoubliable) l’éclipse presque. La conjointe blasée, alcoolique et dépressive de l’associé du père de Benjamin, la belle « couguar » avant la lettre séduit le protagoniste, qui s’éprend ensuite de la fille de son amante.

Un drame ponctué de touches d’humour corrosif, Le lauréat est au premier degré l’histoire d’un jeune homme amoureux d’une femme mûre, puis d’une femme de son âge. Au second, c’est l’allégorie d’une génération en rupture avec les valeurs établies par les générations passées.

Fait intéressant, la réalisation de Mike Nichols s’inscrivait elle-même en porte à faux avec les diktats d’Hollywood. Elle lui valut un Oscar. Et fit école.

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