Jouer d’ironie

Les nouvelles venues Julianne Côté et Catherine St-Laurent incarnent Nicole et sa meilleure amie Véronique.
Photo: Sara Mishara Les nouvelles venues Julianne Côté et Catherine St-Laurent incarnent Nicole et sa meilleure amie Véronique.

Tout, dans ce très finement comique film de Stéphane Lafleur, se place sous le signe de l’ironie. Avec un pas de côté, le second degré en somme, présent dans le choix du noir et blanc, dans des bruitages et une musique formidables, une série de gags visuels et le choix des plans fixes. Lafleur est également musicien, à la tête du groupe folk Avec pas d’casque. D’où cette quête du son juste dans une réplique, une image, une chicane, un flirt mort-né. Le montage de Sophie Leblond offre le rythme à cette étrange courtepointe en cadavres exquis.

 

Cette histoire toute simple — un été de jeunes en banlieue dans la maison familiale, sans les parents — se décompose en une série de petites saynètes, où l’humour et la poésie rappellent un peu ceux des frères Kaurismäki, tissés d’absurde, de surréalisme, sur le mode de la fragilité, car il manque un tonus d’énergie supplémentaire pour faire décoller totalement l’appareil. Tu dors Nicole collectionne pourtant les petits enchantements comme les perles d’un collier. Il avait eu les honneurs du dernier Festival de Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs. Le voici enfin dans nos salles.

 

On y rencontre Nicole, 22 ans (Julianne Côté, étonnante en fille à la fois touchante et rébarbative), qui espère couler des jours d’été paisibles avec sa copine Véronique (Catherine St-Laurent, plus conventionnelle) dans la maison des parents, quand son frère (Marc-André Grondin, généreusement hors premier plan) et son groupe de musiciens rock viennent répéter avec grand fracas. Mais il y a le nouveau batteur, séduisant (Francis La Haye, très fort), que les copines reluquent.

 

Après Continental, un film sans fusil et En terrains connus, plus proches du drame mais sourire en coin, Stéphane Lafleur entre de plain-pied dans la comédie, sur sauce aigre-douce, en un temps indéfini, époque et âge de la vie en confusion. La banlieue est là, centrale, en images de clôtures, de piscines, d’arbres, de rues sans âme, d’autos (celle de Véronique porte même un nom) et de vélos, avec la maison au kitsch estompé par le noir et blanc. Mais l’ennui de la banlieue imbibe chaque image, bloque l’horizon. Pas de quoi en faire un drame. On aborde ici des enjeux de petite taille ; d’où la drôlerie de chaque minisketch ponctué de bruits incongrus, d’accords tonitruants, de fantasmes matérialisés, de réalités à la fois banales et mystérieuses. La ligne de trame est ténue. Stéphane Lafleur s’y aventure en funambule, manque de flancher, nous rattrape toujours par le rire. Son scénario est cousu au poil, chaque phrase ciselée. Le film regorge de flashs et de bons gags : un automobiliste qui tente d’endormir son bébé avec le chant des baleines, un geyser jaillissant comme un rêve brisé, un enfant (Godefroy Reding) à grosse voix d’homme (celle d’Alexis Lefebvre) qui courtise Nicole avec des mots d’adultes. Et puis des regards de désir échangés, un voyage avorté, les petits rêves ratés, un vélo à délivrer de son cadenas, une mélancolie, une révolte parfois.

 

Tu dors Nicole possède un charme à la fois ravageur et ténu. Bonbon acidulé à déguster plan fixe par plan fixe sous la caméra de Sara Mishara, en accord parfait avec les visées ironiques du cinéaste, auquel chaque élément participe. Mais le spectateur doit rester attentif à la subtilité de toutes ces minipropositions, sous peine d’en laisser passer la substance discrète mais délicieuse.

Tu dors Nicole

★★★ 1/2

Réal. et scénario : Stéphane Lafleur. Avec Julianne Côté, Catherine St-Laurent, Marc- André Grondin, Francis La Haye, Simon Larouche, Godefroy Reding (voix d’Alexis Lefebvre). Image : Sara Mishara. Musique : Rémy Nadeau-Aubin, Organ Mood. Montage : Sophie Leblond. Québec, 2014, 93 minutes.