Du soufre, mais pas de souffle

Brute, immédiate, la mise en scène de Ferrara possède un côté cru qui sied au sujet scabreux du propos.
Photo: Remstar Brute, immédiate, la mise en scène de Ferrara possède un côté cru qui sied au sujet scabreux du propos.

Dans une suite d’un hôtel huppé de New York, un puissant homme politique français en poste à Washington sort de 24 heures consécutives d’orgie avec différentes partenaires embauchées pour l’occasion. Laissé seul, il se douche. Sur ces entrefaites, une femme de chambre entre pour faire le ménage. Avant qu’elle ait pu s’éclipser, il l’agresse, sourd à ses pleurs et à ses cris. Lorsque, plus tard, des policiers le placent en état d’arrestation, il paraît incrédule. « Savez-vous qui je suis ? », s’enquit-il. Il s’appelle Devereaux, mais il aurait tout aussi bien pu s’appeler Dominique Strauss-Kahn.

 

Lors de sa présentation en marge du Festival de Cannes, Welcome to New York fit scandale, le distributeur français Wild Bunch ayant pour l’occasion repoussé les limites du mauvais goût en distribuant des sacs cadeaux contenant menottes et fouets, accessoires en l’occurrence absents du film. Cette mascarade n’étant pas l’oeuvre de l’auteur Abel Ferrara (Bad Lieutenant), il importe de juger le film pour ce qu’il est.

 

Pas une réussite, pour dire le vrai, mais pas davantage un navet. Brute, immédiate, la mise en scène de Ferrara possède un côté cru qui sied au sujet scabreux. En cinéaste intègre, il fait des choix et les assume, pour le meilleur et pour le pire, souvent dans la même scène. Par exemple, le premier acte montrant une succession d’ébats qui n’en finissent plus de finir. Loin de titiller, le spectacle lasse. Or c’est le but, Ferrara offrant ainsi un instantané du quotidien de cet homme obsédé par le sexe et blasé de tout le reste. L’idée convainc, mais pas le résultat.

 

Idem pour les échanges entre Devereaux (Gérard Depardieu, monstrueux dans tous les sens du terme) et sa femme Simone (Jacqueline Bisset, version Anne Sinclair), une riche héritière qui avait le palais de l’Élysée dans sa mire avant la débâcle. Manifestement improvisés, certains dialogues peuvent donner lieu à de brefs moments de vérité, lesquels sont aussitôt annihilés par une ligne gauchement livrée.

 

À l’avenant, la séquence finale voit les deux époux se regarder en chiens de faïence, confinés dans une maison de ville louée à grands frais, prêts pour une dernière engueulade, un ultime règlement de comptes. Au faîte des hostilités, on se surprend à se demander de quoi aurait l’air une relecture théâtrale du même matériel. Un genre de Qui a peur de Virginia Woolf ? version haute finance. Dans quelques années, peut-être, lorsque la poussière sera retombée.

 

Tout bien considéré, sans doute est-ce la critique parue dans Les Inrokuptibles qui a eu la meilleure formule pour résumer cette production inégale, qu’elle qualifie d’intéressante « d’un strict point de vue théorique ».

Welcome to New York

★★

Réalisation : Abel Ferrara. Scénario : Chris Zois et A. Ferrara. Avec Gérard Depardieu, Jacqueline Bisset, Marie Mouté. Image : Ken Kelsch. Montage : Anthony Redman. France, 2014, 125 minutes. V.O. s.-t.f. : Excentris.