L’univers lesbien, tout simplement

Cinq mois pile après avoir dévoilé le premier épisode de sa websérie Féminin/Féminin, alors en développement, l’auteure du film Sarah préfère la course présente les sept autres capsules de cette production rafraîchissante et fine.
C’est pari gagné pour Chloé Robichaud. En janvier dernier, en effet, la cinéaste québécoise espérait que la mise en ligne du premier épisode de sa websérie Féminin/Féminin, sur les tribulations d’un groupe d’amies lesbiennes, susciterait suffisamment d’intérêt pour assurer la complétion du financement du projet pour lequel elle avait écrit huit épisodes. Ce qui, 100 000 « visionnements » plus tard, advint. Retour en compagnie de l’auteure sur une proposition artistique inédite.
On la sent fatiguée mais heureuse, Chloé Robichaud. « C’est le cas. Ça a été difficile de terminer le montage financier. On a eu de bons commanditaires qui se sont manifestés suite à la popularité du premier épisode. De la préproduction à la postproduction, ça a été très intense depuis janvier, mais on y est arrivé », dit-elle comme pour s’en convaincre.
Campé à Montréal au sein d’une bande de copines homosexuelles, Féminin/Féminin (un clin d’oeil à Masculin/Féminin de Godard) aborde des questions universelles comme les affres du célibat non désiré, l’usure du temps dans le couple, la difficulté de retomber sur ses pattes après une rupture, la différence d’âge entre les partenaires, etc., mais aussi des enjeux plus spécifiques à la communauté lesbienne ou LGBT, comme la sortie du placard et l’homoparentalité. Dans chaque épisode d’une dizaine de minutes, le propos, à l’instar de la manière, s’avère à la fois intelligent et imprévisible. Un beau cocktail narratif, en somme.
« J’ai tâché de maintenir une vue d’ensemble. Même si chaque épisode est un peu comme un court métrage axé sur un personnage, je voulais que, sur le plan du récit, on sente la “ gang ” et que, sur le plan de la facture, la direction photo, la direction artistique et les costumes, on maintienne une homogénéité, une harmonie esthétique […] Les sept épisodes restants ont nécessité quinze jours de tournage. Dans le contexte, c’était un luxe, mais je tenais vraiment à prendre le temps d’être avec les actrices. » La stratégie a payé puisque la galerie de jeunes comédiennes en question (dont la formidable Eve Duranceau, muse de Chloé Robichaud) offre un jeu uniformément naturel — et craquant.
Séduites, des vedettes invitées comme Macha Limonchik et Ariane Moffatt se sont prêtées au jeu, la première particulièrement savoureuse en quadragénaire troublée par les avances d’une fille de 26 ans.
Comme la vie
Féminin/Féminin n’est pas la première fiction audiovisuelle à s’intéresser au quotidien de protagonistes lesbiennes. Dans la défunte Queer as Folks (2000-2005), version américaine, un couple de femmes occupait une place importante. Et il y eut bien sûr The L Word (Elles ; 2004-2009), mais celle-ci mettait en scène un assortiment de femmes sublimes et riches dans une vision pour le moins « glamourisée » de l’existence.
À l’inverse, le petit théâtre co-imaginé par Chloé Robichaud et Florence Gagnon se joue résolument du côté de la vraie vie. Quant au ton, il se situe à des lieues de celui, désespéré, souvent privilégié au cinéma où la figure lesbienne est volontiers dépressive et/ou suicidaire, du film Les larmes amères de Petra Von Kant (1972) à Notes sur un scandale (2006) en pensant par La vie d’Adèle (2013) où, encore une fois, il est fort ardu pour une femme d’en aimer une autre.
« C’est certain que tant dans les films qu’à la télé, je ne me suis jamais beaucoup reconnue. Une série comme The L Word, c’est à marquer d’une pierre blanche, mais pour le réalisme, on repassera. C’était pour moi primordial que Féminin/Féminin corresponde à la vie telle que je la connais et telle que mes amies la vivent. Une autre préoccupation était l’énergie de l’ensemble, que je voulais positive. »
D’où, entre autres idées heureuses, celle d’intégrer dans Féminin/Féminin de brefs passages en faux documentaire qui viennent rectifier, démystifier, éduquer, sans insister ni appuyer. À cet égard, l’ultime épisode boucle la boucle de belle façon en quittant complètement la fiction.
Comme un film
Lorsqu’on lui demande si, selon elle, l’étiquette de cinéaste gaie existe et si, le cas échéant, elle l’effraie, la réponse est sans équivoque. « C’est certain que je me sens parfois comme une bibitte exotique dans le paysage cinématographique. Je ne suis pourtant pas la première réalisatrice lesbienne. Oui, j’y ai pensé, mais ce qui compte pour moi, c’est d’aborder des sujets qui m’interpellent, gais ou non. »
« Je suis fière de Féminin/Féminin, poursuit-elle. C’est drôle, parce que j’ai pris conscience tout récemment que j’avais pratiquement fait un deuxième long métrage puisque la série dure 90 minutes. »
Justement, Chloé Robichaud entrevoit-elle la possibilité d’une version cinéma de Féminin/Féminin, qui possède non seulement la durée, mais les atouts artistiques que commande le 7e art ? Car, on le précise, la sensibilité visuelle de la cinéaste, son sens du cadre notamment, déjà en évidence dans son court métrage Chef de meute et dans son long métrage Sarah préfère la course, tous deux sélectionnés à Cannes, sont ici bien en évidence. Visionnée en rafale, l’histoire chorale ferait sourire le regretté Robert Altman (Nashville, Chassés-croisés).
« On a organisé une projection d’équipe à Excentris et j’ai adoré voir la série sur grand écran. Je ne l’ai pas filmée différemment sous prétexte que c’était destiné à Internet. En même temps, la série sera accessible partout, en Australie, en France… Je n’ai jamais rien vécu de tel en cinéma. On ne ferme pas la porte ; il faudra voir. Mais ça me plairait, c’est évident. »
Quoi qu’il en soit, Féminin/Féminin en est à sa première saison. « S’il n’en tient qu’à moi, il y en aura une autre », conclut Chloé Robichaud. On peut regarder la série sur le site femininfeminin.com
Voir le premier épisode:
FÉMININ/FÉMININ - épisode 1 par Lez Spread The Word