Le Festival des films du monde menacé

Serge Losique
Photo: Jacques Grenier - Archives Le Devoir Serge Losique

Le Festival des films du monde, dont la 38e édition dédiée au grand écrivain disparu Gabriel García Márquez, doit se dérouler à Montréal du 21 août au 1er septembre, est en panne de financement. Sa directrice générale, Danièle Cauchard, déclare avoir reçu une lettre de la Société de développement des entreprises culturelles (SODEC) lui annonçant sa décision de ne pas soutenir (à hauteur de 230 000 $) la manifestation cette année.

 

Des sources sûres indiquent au Devoir que les deux autres bailleurs de fonds principaux, Téléfilm Canada et la Ville de Montréal, retireraient aussi leurs billes pour l’édition d’août-septembre, faute d’avoir accès à tous ses livres, à un plan de redressement bien établi et à des finances équilibrées. Les subventions de Téléfilm s’élèvent à 300 000 $ environ, et celles de la Ville à 150 000 $.

 

« On va protester, assure Danièle Cauchard. On est bons là-dedans. La SODEC a fait une économie de 2,9 millions sur toutes les coupes qu’elle nous a réservées depuis dix ans. Nous sommes traités de façon injuste. On a envoyé des états financiers vérifiés par des firmes extérieures, mais qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Le festival demeure l’événement culturel québécois le plus cité à travers le monde, qui génère des retombées touristiques de 22 millions annuellement. Montréal : ville internationale, culturelle, ville de festivals. De quoi parle-t-on ? Et qu’est-ce qu’on dit aux gens qui ont déjà acheté leurs billets d’avion ? Le festival se déroule dans onze semaines ! Nous, on voit des films. On continue. »

 

Les compressions budgétaires au ministère de la Culture ne sont pas, nous dit-on, en cause. Les institutions auraient tranché d’elles-mêmes. Mais le climat d’austérité à Québec ne devrait pas à vue de nez aider la cause du FFM dans le futur.

 

Louis Pascal Cyr, directeur des communications de la Ville de Montréal, se refuse pour l’instant à tout commentaire : « On est à l’étape de discussions privées pour le moment. »

 

Chez Téléfilm, on assure au Devoir avoir fait l’analyse du dossier du FFM et lui avoir communiqué la décision. « Mais en attendant confirmation de réception de la part desdirigeants du FFM, le contenu de la décision demeure confidentiel. » Quant à la SODEC, elle se refuse à tout commentaire.

 

Devant l’éventualité d’autres défections, Danièle Cauchard proteste encore : « On a une entente avec la Ville qui comprend 2014. Téléfilm de son côté nous a assurés verbalement en février que les festivals de Toronto, Vancouver et Montréal recevraient les mêmes montants que l’année précédente. » Elle affirme n’avoir encore reçu aucune lettre du côté fédéral et municipal.

 

Faillite technique

 

Le président du FFM, Serge Losique, dont le festival est miné par un déficit accumulé de plus de 2,5 millions (le FFM admet 500 000 $ de déficit et une dette à long terme quant au reste), avait dû éponger en 2005 et en 2006 les frais de sa manifestation quand les instances gouvernementales lui avaient coupé les vivres au profit d’une nouvelle créature cinématographique, le FIFM, mort-née. Mais près de dix ans plus tard, apprend-on, aucun plan de redressement digne de ce nom n’a été mis sur pied, malgré un prêt de 1 million de la SODEC en 2010. Certains ordres gouvernementaux estiment que leurs subventions serviraient d’abord à rembourser les créanciers de l’édition précédente. Le FFM serait, selon nos sources, en faillite technique.

 

« Nous traînons un boulet, reconnaît la directrice Danièle Cauchard. Après deux années sans subventions, on a été coupés de moitié à la SODEC. On a présenté des plans triennaux de redressement à gogo, mais bien des promesses furent non tenues. »

 

Les trois bailleurs de fonds ont communiqué entre eux en mars pour se faire une tête sur le cas FFM. Mais dès l’automne, la Ville de Montréal avait rencontré à deux reprises le président du festival à sa demande, afin de se pencher sur l’état des créances de l’édition 2013. En mars et en avril, les institutions tentèrent de rencontrer les représentants du FFM, côté direction et conseil d’administration. La réunion prévue pour le 23 avril fut remise pour des raisons médicales. La semaine suivante, le 5 mai, les délégués de la SODEC et de la Ville de Montréal se sont réunis avec ceux du FFM, ces derniers ayant refusé la présence des fonctionnaires de Téléfilm. « Les demandes spécifiques qu’on avait faites étaient dirigées du côté du Québec, répond Danièle Cauchard. Le fédéral n’avait pas de raison d’en être. »

 

Quoi qu’il en soit, la rencontre ne fut manifestement pas fructueuse. En gros, les dirigeants du FFM se feraient reprocher de fournir des chiffres plus ou moins aléatoires, de ne pas renouveler le contenu de leur manifestation et de gérer de façon irresponsable des fonds publics avec un événement en déclin.

 

Rappelons aussi que Danièle Cauchard réitérait il y a quelques mois sa volonté de quitter le navire. Elle se cherche toujours un successeur. Pour l’heure, on imagine mal le Festival des films du monde rouler sans subventions en 2014. Serge Losique n’est ni Daniel Langlois, ni Guy Laliberté, ni le roi Crésus. Il avait déjà hypothéqué des biens en 2005 et 2006, et les finances de sa manifestation sont dans le rouge. Mais l’homme est opiniâtre.

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