Brazil, ou le cauchemar en série

Une scène de Brazil, de Terry Gilliam
Photo: Cinéma du Parc Une scène de Brazil, de Terry Gilliam

Du 6 au 8 juin, le Cinéma du Parc projette une nouvelle copie de Brazil, un chef-d’oeuvre certifié que des différences de vue entre le cinéaste Terry Gilliam et le studio Universal faillirent condamner à l’obscurité.

La vie imite l’art plus que l’art n’imite la vie, disait Oscar Wilde. La dystopie satirique Brazil, qui donna lieu à un affrontement épique entre un cinéaste visionnaire et un studio tyrannique, en constitue un rappel éloquent.

 

La fiction La scène se déroule dans un futur indéterminé, mais résolument totalitaire. Toute-puissante, la machine étatique emploie un nombre ridiculement élevé de fonctionnaires dévoués à des tâches souvent absurdes. Sam Lowry est l’un d’eux. Enclin aux rêves éveillés — on le serait à moins —, Sam fantasme et se voit héros ailé, Icare moderne sauvant d’un destin funeste une ravissante damoiselle. Sachant ce qu’il est advenu du mythe grec, on devine d’emblée le pauvre bougre condamné.

 

De bourde bureaucratique en erreur sur la personne, de chasse aux terroristes en séance de torture ministérielle, on devine Kafka et Orwell se marrer. Le spectateur, lui, reste pantois d’éblouissement devant l’inventivité déployée par Terry Gilliam qui, sous des dehors fantaisistes, dépeint un avenir sombre dans lequel le rêve devient le dernier barrage contre le conformisme.

 

C’est justement le crime dont le cinéaste se rendit coupable face au studio détenteur des droits de son film en Amérique du Nord.

 

La réalité La scène se déroule dans les bureaux du studio Universal, en Californie. Toute-puissante, la machine hollywoodienne emploie un nombre ridiculement élevé de cadres chargés de décider ce que veut et ne veut pas voir le public. Enclin aux fulgurances baroques — son esthétisme rétro-futuriste bricolé fit école —, Terry Gilliam défend une vision furieusement originale et pessimiste. Paniqué, le studio remonte le film et plaque une fin heureuse, au grand dam du cinéaste bafoué.

 

« Aussi longtemps que mon nom apparaît sur le film, ce qui lui est fait m’afflige également. Je sens chaque coupe, spécialement celles qui ont castré le film […] S’il vous plaît, laissez-moi savoir pour combien de temps encore je devrai souffrir avant que cesse l’hémorragie », écrit alors Gilliam qui, las de rédiger des mémos acerbes, organise une projection secrète du montage initial pour une poignée de critiques influents. L’accueil est dithyrambique. De mauvais gré, Universal sort le film dans une version certes amputée de 10 minutes, mais supervisée par l’auteur. En Europe, le studio 20 th Century Fox s’en tient à la version intégrale de 142 minutes. Depuis l’avènement du DVD et surtout du Blu-ray, on peut apprécier Brazil dans toute sa sinistre splendeur.

 

Il n’empêche que depuis, à quelques exceptions près (Le roi pêcheur, 12 singes, Tideland), le cinéaste va de projets avortés (Don Quichotte, Le conte de deux cités) en films maudits (Les aventures du baron de Münchausen jusqu’à L’imaginarium du docteur Parnassus). Espérons que Terry Gilliam ne finira pas comme Sam Lowry dans Brazil, rêveur brisé par le système.

 

Sombres futurs cinéphiles

1971: Orange mécanique, de Stanley Kubrick, d’après le roman d’Anthony Burgess.

1982: Blade Runner, de Ridley Scott, librement inspiré d’une nouvelle de Phillip K. Dick.

1984: 1984, de Michael Radford, d’après le roman de George Orwell.

1998: Cité obscure, d’Alex Proyas.

2006: Les fils de l’homme, d’Alfonso Cuarón, d’après un roman de P. D. James.


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