Rouli-roulant autour du monde

Myriam Verreault (chapeau noir) a réalisé le segment de Montréal, en donnant la vedette à un groupe de filles planchistes, les skirtboarders, qui se battent contre la tyrannie de l’apparence.
Photo: Charles-Louis Thibault Myriam Verreault (chapeau noir) a réalisé le segment de Montréal, en donnant la vedette à un groupe de filles planchistes, les skirtboarders, qui se battent contre la tyrannie de l’apparence.

En 1966, le Montréalais Claude Jutra fut l’un des tout premiers cinéastes à réaliser un film sur les planchistes sur roues, nouveau phénomène qui envoyait rouler une jeunesse en quête de liberté et de sensations nouvelles, sous l’oeil noir des gardiens de l’ordre. Le court métrage Rouli-roulant, bijou du direct (Michel Brault, caméra à l’épaule, Werner Nold au montage, et Geneviève Bujold chantant à la fin) n’est pas au Québec l’oeuvre la plus connue du cinéaste d’À tout prendre. Sauf qu’à l’étranger, tel est bien le cas, à travers un circuit autre que cinéphile, chez les planchistes, lesquels ignorent en général le nom du cinéaste pionnier.

 

Hugues Sweeney, producteur exécutif aux oeuvres interactives de l’ONF, est l’instigateur du projet Claude Jutra remixé : The Devil’s Toy Remix, expérience interactive en ligne dès ce mercredi. Demande fut faite à 14 réalisateurs autour du monde de s’inspirer du film de Jutra pour faire une oeuvre contemporaine de six ou sept minutes avec des paramètres précis, respectant les étapes de Rouli-roulant : confrontation, résistance, soumission, insoumission, etc. De Montréal, de Victoriaville, de Vancouver, de la Serbie, de l’Allemagne, de Singapour, de New York, d’Athènes, de Lyon, de Los Angeles, etc., chacune des onze oeuvres (dont le film original) s’inscrit dans son contexte sociogéographique particulier. L’utilisateur peut naviguer par film, par thèmes, etc. Des images et vidéos de planchistes s’y ajoutent, géolocalisées sur le site, apportant un kaléidoscope d’autres images connexes. La chaîne franco-allemande Arte a coproduit le projet à travers sa plateforme et s’occupera de le lancer en Europe.

 

Myriam Verreault (coréalisatrice d’À l’Ouest de Pluton) a réalisé le segment de Montréal, en donnant la vedette à un groupe de filles planchistes, qui se battent contre la tyrannie de l’apparence. « J’étais la seule réalisatrice de cette série. Les garçons restent davantage, comme Jutra, dans le rapport à l’autorité, contre les policiers, etc. Aujourd’hui, les planchistes exécutent des figures spectaculaires et athlétiques. J’ai privilégié un esprit plus ironique en versant moins dans la performance. »

 

Myriam Verreault avait été chargée, pour des impératifs généraux de durée, de réduire le film de Jutra de 15 à 6 minutes et demie. C’est la version qui circule sur le site. « Mais je n’ai retiré aucune scène, juste coupé dans chacune, en l’adaptant aux codes de montage contemporains. Pour le choix des cinéastes, ça s’est fait surtout à travers le réseau des films de planchistes que Matt Charland, le cinéaste de Victoriaville, connaissait bien. Certains sont de vrais spécialistes du genre. Et puis, on a tenu compte de la répartition des continents, bien sûr. »

 

Regardant l’ensemble des films, la cinéaste québécoise se dit surprise, malgré tous les paramètres précis mis surla table, de voir à quel point chaque segment est différent des autres. La crise économique est mise en avant à Athènes. À New York, les héros du film sont surtout les jeunes Noirs tatoués et révoltés. En Allemagne, les jeunes roulent avec des planches qu’ils ont fabriquées eux-mêmes, filant plein vent dans des vignobles et se font intercepter non par des policiers, mais par un garde en tracteur.

 

Mais un peu partout, et comme en 1966, la liberté menacée des jeunes leur donne l’occasion de reprendre en groupe leurs forces pour mieux s’envoler vers de nouveaux et joyeux sommets.

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