Norman McLaren, visionnaire d’hier à demain

Norman McLaren
Photo: Guy Blouin Norman McLaren

On n’en finit plus de s’étonner du peu de reconnaissance actuelle de l’immense cinéaste d’animation que fut Norman McLaren, qui a fait briller Montréal et l’Office national du film (ONF) en lettres d’or. Plusieurs générations ignorent à la fois son parcours et son legs, au grand dam des admirateurs et des collaborateurs de celui dont l’inventivité sans bornes a propulsé l’animation comme tribune d’exploration totale. Il y a fort à parier que si McLaren, dont on célèbre le centième anniversaire, vivait toujours, il pousserait les nouvelles technologies à leurs sommets, comme il a tâté de toutes les avant-gardes, même du 3D et du dessin par ordinateur, en son temps.

 

Précisons que ce cinéaste, né à Stirling en Écosse l’année où éclata la Première Guerre mondiale, mort à Montréal en 1987, travaillait généralement sans caméra, mais peignait ou grattait souvent la pellicule en y ajoutant parfois le son (il fut un des premiers à user du son synthétique). Il s’aidait aussi de papiers découpés, usant de pixilation, de superpositions, jetant ici et là des acteurs et des danseurs dans sa marmite. Ce grand artiste était doublé d’un patenteux qui bricolait son matériel, faute de fonds, mais ça garde agile.

 

À l’invitation de John Grierson qui l’avait dépisté en Écosse comme étudiant prometteur, McLaren ne s’est pas contenté de créer en 1941 le studio de l’animation de l’ONF. Il y resta plus de 40 ans, d’abord à Ottawa, bientôt à Montréal, lançant à la face du monde les mille possibilités du genre. Admiré de tous dans le champ du film court, couronné d’un Oscar en 1952 pour le puissant Neighbours (Voisins), sanglante bataille de deux amis pour la possession d’une fleur, palmé d’or en 1955 pour le délicieux Blinkity Blank si dansant, il fut un pionnier curieux et aventureux, adepte des correspondances baudelairiennes. Son grand ami Claude Jutra joua dans son film Il était une chaise, où son siège lui échappait sur une musique composée par Ravi Shankar. McLaren recruta aussi Oscar Peterson à la musique de Caprice en couleurs, entre autres. Son film Pas de deux, décomposant les mouvements de ses danseurs, demeure un modèle de beauté pure.

Voisins par Norman McLaren, Office national du film du Canada
 

 

L’humour et la grâce de ses courts métrages tirés de chansons populaires traditionnelles — La poulette grise, aux couleurs pastel si exquises (il était d’abord peintre), Le merle, C’est l’aviron — nous enchantent encore. Vrai musicologue, McLaren savait trouver les meilleurs violoneux du Québec et de l’Ontario pour immortaliser, sur des quadrillages en transe, les quadrilles, comme Eugène Desormaux jouant dans Fiddle-dee-dee avec un entrain à faire se trémousser un mort. Le compositeur attitré de l’ONF, Maurice Blackburn, qui aurait eu comme lui 100 ans cette année, créa les arrangements de chefs-d’oeuvre comme La poulette grise, Blinkity Blank et Pas de deux.

Blinkity Blank par Norman McLaren, Office national du film du Canada



Pas de deux par Norman McLaren, Office national du film du Canada

 

Génie polymorphe

 

 

Tranchons là ! On peut accoler le terme génie au nom McLaren trop méconnu du grand public. Avec le concours de l’ONF associé au Quartier des spectacles, histoire de célébrer dignement le centième anniversaire de ce créateur polymorphe, dès le 11 avril, jour de sa naissance, et jusqu’au 1er juin, une féerie McLaren prend d’assaut le centre-ville, balayant les ignorances contemporaines. Le parcours McLaren mur à mur, son et lumière, a misé, comme le créateur honoré, sur l’invention. Trois oeuvres interactives entrent en mouvement de lumière : Phonophotopia, une création du groupe Kid Koala et du studio Hololabs, illuminera la façade du théâtre Maisonneuve. Mclarena, du studio de design Daily tous les jours, projettera aux abords du métro Saint-Laurent une expérience participative tirée de la troisième séquence du film Canon de McLaren et Grant Munro. Quant au cinéaste Theodore Ushev, il s’est associé au studio Irregular pour une autre performance participative, une oeuvre originale inspirée de trois films de McLaren : Lignes verticales (1960), Lignes horizontales (1962) et Synchromie (1971).

 

L’oeuvre s’intitule Diagonales et Theodore Ushev (brillant cinéaste d’animation montréalais d’origine bulgare, derrière Les journaux de Lipsett et Gloria Victoria) est un fervent admirateur de McLaren. Il admire aussi Stanley Kubrick, qui lui-même levait son chapeau devant McLaren. Voici la boucle bouclée. Or, donc, Ushev a créé avec Iregular un monolithe de trois mètres, inspiré de celui de 2001 : Odyssée de l’espace de Kubrick. En grattouillant la chose, les gens pourront modifier les images et les sons projetés. « On entre avec ça dans le cerveau de McLaren », dit Ushev,qui affirme voir le cinéaste de Blinkity Blank comme un extraterrestre écossais, tombé sur une terre de fantômes. « Il fut le plus grand expérimentateur du cinéma, mettant à contribution les technologies les plus avancées. L’oeuvre que j’ai faite, en innovant aussi, lui rend hommage. »

 

Grant Munro, un de ses amis, qui travailla comme animateur sous la direction de McLaren, était également un des deux acteurs de Neighbours. Il rappelle qu’un jour où il travaillait avec McLaren sur le film Canon (1964), à la veille de jeter l’éponge tant il se jugeait dans une impasse, un jeune admirateur venu lui rendre visite lui conseilla de continuer, trouvant les pistes musicales et visuelles dignes d’être exploitées. C’était Polanski. McLaren se laissa convaincre. Ce même Canon sera mis en lumière près du métro Saint-Laurent.

 

Chorégraphe des musiques et des images

 

Norman McLaren avait travaillé comme caméraman au front de la guerre civile en Espagne. Il avait aussi passé un an en Chine à l’heure où les communistes ont pris le pouvoir. Neighbours, film pacifiste et engagé, lui fut inspiré par ces expériences et le déclenchement de la guerre en Corée.

 

« Quand Neighbours a reçu l’Oscar du meilleur court métrage, dit Grant Munro, Norman était en Inde, et on a eu du mal à le retrouver. Au téléphone, il a répondu : “C’est quoi, un Oscar ?” » Son exploration était ailleurs, rêvant à l’accord parfait entre musique et images, parfois de simples figures géométriques, des globules dansants ou des silhouettes d’oiseaux, car il se voyait chorégraphe, estimant que, peu importe quelle forme bouge, seul le mouvement captive. Et plus simple est la ligne du corps, une poule davantage qu’un homme, plus ça swingue de concert.

 

« L’esprit de McLaren plane toujours sur l’animation, estime Robert Verral, un des animateurs recrutés par McLaren à l’ONF. Il continue partout dans le monde à inspirer les cinéastes qui travaillent dans le domaine. C’est sa créativité qui stimule la relève et la stimulera encore, même ceux qui ignorent son nom, parce qu’il a placé la barre haut et que d’autres ont suivi. »

 

À ceux qui désirent mieux connaître l’univers du cinéaste de Neighbours, on ne peut que conseiller d’aller voir le sublime spectacle Norman des purs magiciens que sont Michel Lemieux et Victor Pilon, avec le concours du danseur et chorégraphe Peter Trosztmer, en reprise à la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu’au 12 avril. Aussi de se procurer le coffret McLaren, toute son oeuvre compilée par l’ONF, ou de naviguer sur son site pour voir les films.

Boogie-Doodle par Norman McLaren, Office national du film du Canada





Canon par Norman McLaren, Office national du film du Canada



 
 

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