Bonbon sur rythme fou

The Grand Budapest Hotel est un délire kaléidoscopique qui compose un joyeux moment de cinéma.
Photo: Fox Searchlight The Grand Budapest Hotel est un délire kaléidoscopique qui compose un joyeux moment de cinéma.

Grand Prix du jury à la Berlinale, ce bonbon cinématographique se savoure avec des pétillements sur la langue. Amusant, par ailleurs, de constater qu’avec un contenu aux antipodes, Wes Anderson utilise ici le même procédé littéraire désuet que Lars von Trier dans ses deux Nymphomaniac : la rencontre de deux inconnus, l’un confiant sa vie à l’autre, le film séparé en chapitres, etc. Dans The Grand Budapest Hotel, le cinéaste s’est inspiré de plusieurs romans de l’écrivain viennois Stefan Zweig, lui-même grand lettré. Ici, le rétro règne en maître et le passé s’invite dans le présent à tout instant.

 

Wes Anderson, derrière The Royal Tenenbaums, Fantastic Mr. Fox, Moonrise Kingdom, etc., est l’un des cinéastes américains les plus purement ludiques et légers, aussi un grand styliste qui fait ressembler ses longs métrages à des animations (Fantastic Mr. Fox en était une), dans le sillage de Tim Burton. Son esthétique irréprochable, aux costumes et aux décors, constitue sa signature, son humour décalé aussi. Ses comédies folles semblent découpées au bistouri et leur montage constitue en soi une poésie. Ultraréférencié, il rend ici de discrets hommages à Max Ophüls, au Spielberg de Raiders of the Lost Ark, aux Coen d’O Brother, Where Art Thou, etc.

 

Ce film, qui raconte l’histoire d’une institution des années 30, le Grand Budapest Hotel, met en scène un vieil auteur qui confie dans la salle à manger de l’établissement à un jeune écrivain sa rencontre en 1968 avec le propriétaire de ce palace en déclin dans les Carpates (avec clin d’oeil à l’hôtel de Shining). Le romanesque est enclos en deux récits. Le village très photogénique ajoute à l’ambiance de chic avant-guerre cramponné à la Belle Époque, sous la menace nazie qui monte et s’étend en tache d’huile qui balaie tout.

 

Retour en 1932 aux heures de gloire. Monsieur Gustave (Ralph Fiennes), concierge respecté de tous et aimé particulièrement des vieilles dames esseulées dans leur lit, prend sous son aile un jeune groom réfugié nommé Zero (Tony Revolori), son futur copain de tribulations. Les performances d’amant de Monsieur Gustave lui valent d’être soupçonné de la mort d’une richissime aristocrate, Madame D. (Tilda Swinton, follement méconnaissable), dont les dernières volontés font l’objet de luttes sanglantes. Un tableau de la Renaissance volé : Le garçon à la pomme, une prison rébarbative aux cellules calquées sur celles d’Alcatraz, ajoutez des courses folles dans la neige, des copains d’évasion très gratinés (surtout Harvey Keitel chauve, en uniforme rayé, doux pied nickelé du plus haut comique), des pâtisseries que n’aurait pas reniées la Marie-Antoinette de Sofia Coppola. Et un vilain assassin très, très féroce (Willem Dafoe, qui d’autre ?).

 

Wes Anderson s’est offert la totale à la distribution : aux côtés de ses habitués : Bill Murray, Owen Wilson, Adrien Brody, il mit à contribution l’armada des acteurs internationaux, dont Mathieu Amalric en taupe à double fond, Léa Seydoux réduite à un rôle de soubrette aux trois répliques, etc. Tout le monde s’en donne à coeur joie au second degré.

 

Les plus rocambolesques aventures se succèdent à un rythme fou. Le tout sur des décors d’un rococo délicieux. L’hôtel et le palais de Madame D., aux murs recouverts de panaches, inspirent à la caméra force vertiges. Les cadrages dans les cadrages sont des mises en abyme.

 

En définitive, ce délire kaléidoscopique compose un joyeux moment de cinéma, avec quelque chose de plus que dans les oeuvres précédentes du cinéaste, touchant du bout du doigt l’émotion, avec ce héros frivole, parfumé, ardent bisexuel, soudain aspiré par le maelström de la guerre et de l’Anschluss. Bref, il s’agit ici du meilleur Wes Anderson, rigolo, trépidant, techniquement parfait, chatoyant, historiquement bien accroché, éloge surtout de l’élégance qui triomphe parfois, et c’est tant mieux, de tous les empêcheurs de déguster en rond.
 

The Grand Budapest Hotel

Réalisation : Wes Anderson. Scénario : Wes Anderson, Hugo Guinness, Avec Ralph Fiennes, Tony Revolori, F. Murray Abraham, Mathieu Amalric, Adrien Brody, Willem Dafoe, Jeff Goldblum, Harvey Keitel, Tilda Swinton, Tom Wilkinson, Owen Wilson, Léa Seydoux. Image : Robert D. Yeoman. Musique : Alexandre Desplat. Montage : Stephen Perkins. 99 minutes.

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