Plongeon dans la substantifique moelle d’un inconscient collectif

Ceux qui connaissent mal l’oeuvre et l’auteur de L’homme rapaillé ne trouveront pas dans ce film la biographie classique susceptible de les éclairer sur la trajectoire du grand poète Gaston Miron. La démarche de Simon Beaulieu, derrière les portraits documentaires du peintre Serge Lemoyne et du poète politicien Gérald Godin, consiste à livrer cette fois une oeuvre prismatique. Le film, jeux musicaux compris, n’est constitué que de documents d’archives, certains inédits, de l’Office national du film ou d’ailleurs (un peu comme dans La mémoire des anges de Luc Bourdon, mais en moins cohérent) remontant le cours de l’histoire du Québec, afin de représenter l’imaginaire de Miron, tel que perçu par Simon Beaulieu.
Bien sûr, certaines scènes mettent le poète à l’avant-plan, la plus délicieuse le montre entonnant une chanson de folklore avec des amis, en invitant la compagnie à reprendre le refrain avec lui. Alors, la chaleur de cet homme, qui fut fou de la vie, passe l’écran. Sinon, ses déceptions indépendantistes constituent le coeur de ce film, tendant à en faire la figure de proue de la dépression collective (Miron est mort l’année suivant le second référendum), gommant quelque peu son énergie folle et sa passion pour les femmes, qui furent aussi le sel de sa vie.
La voix hors champ de Miron, si puissante, traverse tout le film, lisant surtout ses poèmes, certains consacrés au rêve d’un Québec libre, d’autres à l’amour. C’est la proportion d’éléments politiques, avec force images de manifestations réprimées par la police, qui donne l’impression d’une oeuvre trop orientée.
Sans avoir accès à sa biographie comme telle, il est très émouvant d’entendre Gaston Miron évoquer son choc quand son grand-père admiré lui avoua être analphabète, ajoutant : « Quand on ne sait ni lire, ni écrire, on est toujours dans le noir. » C’est à partir de cette découverte que le poète décida de porter sur son dos les générations de travailleurs qui l’avaient précédé sur un territoire qui fut autrefois la Nouvelle-France.
Là où certains peuvent voir un kaléidoscope d’images plus ou moins rapaillées, ceux qui pénètrent le film sans a priori apprécieront, s’ils connaissent déjà Miron, le foisonnement d’images entremêlées du Québec d’avant et d’après la Révolution tranquille : substantifique moelle d’un inconscient collectif que le cinéaste veut illustrer à travers ce manifeste.
Karl Lemieux a travaillé à ses côtés aux photographies et René Roberge au montage d’une oeuvre expérimentale et collective porteuse d’un message. Car Miron : un homme revenu d’en dehors du monde, avec tous ses fragments de peuple et d’homme, s’avère par-dessus tout un essai nationaliste, qui résonne comme une profession de foi, mais, ce faisant, il réduit aussi l’âme multiforme du poète.