Homme, femme, mode d’emploi

Fort de ses cinq César, moisson en partie excessive puisqu’il a coiffé au poteau, dans la catégorie du meilleur film, des oeuvres aussi magistrales que La vie d’Adèle, Le passé et L’inconnu du lac, Les garçons et Guillaume, à table ! n’en demeure pas moins une comédie de la plus belle eau, maîtrisée avec virtuosité. Sociétaire de la Comédie-Française, Guillaume Gallienne, avec ce premier long métrage, évite des pièges qui auraient fait frémir des vétérans. Transposant son spectacle autobiographique, où il s’était donné tous les rôles, il n’incarne à l’écran que son rôle et celui de sa terrible mère, s’évitant la surcharge, même si le narcissisme de l’entreprise ne peut être gommé tout à fait, avec l’omniprésence de la voix hors champ.
Maman l’a élevé comme une fille, au milieu de ses frères plus virils, « Les garçons et Guillaume, à table ! » constituant le cri maternel annonçant le repas. Or cette mère bourgeoise et maîtresse femme, il l’admire et veut lui plaire. L’histoire se décline entre la représentation de sa jeunesse sur scène par Gallienne et celle au cinéma, entre candeur comme levier humoristique et émotionnel et terrible drame de l’identité, capté frontalement de l’enfance à l’âge adulte. Usant du flash-back, jouant du gros plan, cassant les règles, manifestant un sens du cadrage impressionnant et un rythme d’enfer, fer de lance d’une bonne comédie, usant de couleurs almodovariennes. Guillaume Gallienne se révèle bon acteur de cinéma (excellent aussi en Pierre Bergé dans Yves Saint Laurent de Jalil Lespert, bientôt au Québec), ici un peu à la manière Cage aux folles, car il joue au gai et s’y croit en y mettant du maniérisme.
On pense un peu à la comédie belge si réussie Ma vie en rose, d’Alain Berliner, pour la fantaisie et l’identité sexuelle fuyante à la préadolescence, ici sens dessus dessous.
Le fait que Gallienne incarne les deux rôles cruciaux de la mère et du fils-fille nous renvoie aux conventions omniprésentes du théâtre et du burlesque ; le personnage de la maman, hommasse, à la silhouette de Castafiore — que voulez-vous, un homme l’incarne —, offre la distanciation qui crée l’humour. Il s’est entouré d’excellents interprètes, au premier chef Françoise Fabian, impériale en grand-mère dite Babou, et André Marcon, en père épris de virilité. Le film est truffé de situations-gags souvent délirantes, qui permettent de servir cette jeunesse traumatisante entre deux rires. Des scènes à la douche, à la piscine, en Espagne, avec l’apprentissage du flamenco, sont autant d’occasions de revirements comiques qui désarçonnent pour mieux lancer en filigrane le fil puissant mais fardé de sa propre tragédie.