La femme rapaillée

Angoissée par l’adoration toxique que lui voue tout un chacun dans le milieu de la mode, Lou tente d’oublier en se jetant dans les bras d’inconnus et en consommant des cachets. L’actrice Faye Dunaway incarne la mannequin avec une grande vérité.
Photo: Universal Studio Angoissée par l’adoration toxique que lui voue tout un chacun dans le milieu de la mode, Lou tente d’oublier en se jetant dans les bras d’inconnus et en consommant des cachets. L’actrice Faye Dunaway incarne la mannequin avec une grande vérité.

Le 14 mars, le Cinéma du Parc offrira un plaisir rare aux cinéphiles montréalais. En effet, aura lieu dans le cadre de sa série « Ciné-club Psy », présentée de concert avec l'Association des psychothérapeutes psychanalytiques du Québec (APPQ), une projection unique du film Portrait d’une enfant déchue. Peu vu depuis sa sortie en 1970, ce drame psychologique fascinant, qui bénéficie de l’une des interprétations les plus complexes de la grande Faye Dunaway, fut rescapé de l’oubli par le Festival de Cannes qui en commanda la restauration en 2011. Bref, on parle d’un devoir de (re)découverte.

 

Tourné à New York et dans ses environs, Portrait d’une enfant déchue (V.F. de Puzzle of a Downfall Child) documente l’autodestruction d’une mannequin atteinte d’un indicible mal-être. Faye Dunaway incarne — rarement le terme a-t-il été aussi approprié — la jeune femme en question : Lou Andreas Sand, féline, singulière, splendide.

 

Dans les fiestas privées, dans les galas mondains, les bonzes du milieu de la mode se l’arrachent. Mark (Roy Scheider), un directeur artistique établi, Pauline (Viveca Lindfors), la photographe des célébrités : tout un chacun veut Lou pour lui. Toxique, cette adoration ne contribue qu’à pousser la belle angoissée dans les bras d’inconnus ; étrangers rustres qui ignorent tout d’elle. Avec les cachets, c’est là son anesthésiant de prédilection.

 

Plus timide, mais non moins éperdu d’amour pour elle, Aaron Reinhardt (Barry Morse), un photographe qui monte, devient son confident. C’est à ce titre qu’il visite l’icône recluse dans son chalet de Fire Island après qu’elle eut tout abandonné. S’ensuivent réminiscences partielles et souvenirs amputés, Lou, femme rapaillée, étant incapable de se souvenir complètement, vraiment.

 

Et peut-être, pour tragiques que soient les conséquences, est-ce mieux ainsi.

 

L’envers du décor

 

Portrait d’une enfant déchue est une production intéressante à maints égards. Tout d’abord, il s’agit du premier long métrage réalisé par Jerry Schatzberg, un photographe réputé à qui l’on doit entre autres la couverture de l’album Blonde on Blonde de Bob Dylan, en 1966. C’est d’ailleurs l’année suivante qu’il fit la connaissance de Faye Dunaway alors que, embauché par le magazine Esquire, il l’immortalisa pendant le tournage de Bonnie and Clyde, d’Arthur Penn.

 

Désireux de passer à la mise en scène, Schatzberg montra son scénario à Dunaway, qui consacra les trois années suivantes à essayer de financer le projet. C’est finalement grâce à l’engagement de la maison de production du couple de vedettes Paul Newman et Johanne Woodward que le studio Universal consentit un budget modeste au cinéaste néophyte.

 

Soigneusement pensée, sa réalisation attesta d’emblée son sens aiguisé du cadre. Et de fait, deux autres oeuvres importantes suivirent en 1971 et en 1972 : Panique à Needle Park, avec Al Pacino en toxicomane, et L’épouvantail, encore avec ce dernier, cette fois en simple d’esprit lancé sur la route avec Gene Hackman. Les trois films, d’émouvantes tragédies ordinaires, tirent le meilleur d’interprètes de premier ordre.

 

Contrairement à ces deux oeuvres subséquentes toutefois, Portrait d’une enfant déchue fut pris de haut lors de sa sortie. « Mon passé de photographe de mode m’a nui ; la critique a été condescendante », se souvient Schatzberg dans le documentaire Illusion et réalité, inclus sur le Blu-ray français du film dont Bertrand Tavernier se fit ultérieurement le champion en France.

 

Un film à clé

 

À l’époque, la pilule fut d’autant plus amère que Portrait d’une enfant déchue revêt une dimension éminemment autobiographique, l’auteur s’étant inspiré, de son propre aveu, de son amitié avec la mannequin Anne Saint Marie à la fin des années 1950. Le personnage d’Aaron est l’alter ego à peine déguisé du photographe devenu cinéaste, et le long entretien à Fire Island s’est déroulé tel quel. D’où, sans doute, ce regard à la fois impuissant et aimant que Jerry Schatzberg pose sur sa muse fragile.

 

Aux prises avec des épisodes psychotiques qui, d’abord perçus comme la cause d’un tempérament dépressif, se révèlent plutôt le symptôme d’une affliction beaucoup plus profonde, Lou Andreas Sand fera l’objet d’une discussion avec Jean Imbeault, psychiatre et psychanalyste, et Ellen Corin, psychologue, anthropologue, et psychanalyste, suivant la projection au Cinéma du Parc le 14 mars à 18 h.

 

Rarement la perspective d’une visite chez le « psy » aura-t-elle été aussi tentante.

Mon passé de photographe de mode m’a nui ; la critique a été condescendante

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