Frédéric Back (1924-2013) – Celui qui planta

L’élégance et la précision de ses dessins, aux lignes et aux colorations de douceur, révélaient l’infinie délicatesse de leur auteur, qui combattait la destruction planétaire avec les armes de la courtoisie, de l’éloquence et de l’art salvateur.
Photo: Archives Le Devoir

L’élégance et la précision de ses dessins, aux lignes et aux colorations de douceur, révélaient l’infinie délicatesse de leur auteur, qui combattait la destruction planétaire avec les armes de la courtoisie, de l’éloquence et de l’art salvateur.

Quelle grande figure solaire que celle de Frédéric Back! Pur chant d’espoir en l’humanité, sa merveilleuse animation L’homme qui plantait des arbres, sur un texte de Jean Giono servi par la voix unique de Philippe Noiret, traversera longtemps encore le temps et les esprits. Car Elzéar Bouvier, le planteur anonyme de l’histoire, c’était Back aussi, engagé pour les causes environnementalistes avant tout le monde, par conviction absolue. Il aura planté et planté encore...

 

Ce film phare, lauréat d’une quarantaine de prix à travers le monde, dont l’Oscar du meilleur film d’animation en 1987, aura suscité – ce fut là sa vraie fierté – des mouvements planétaires de citoyens qui plantèrent à leur tour. Et devant la déforestation galopante, reste cette image d’une main humaine cherchant à sauver un monde au bord du gouffre: celle d’Elzéar, la sienne, comme des doigts anonymes d’un peu partout.

 

Disparu, l’homme au bandeau noir éborgné en plein travail par des vapeurs toxiques, le peintre cinéaste au rire d’enfant? Emporté par le cancer, si longtemps logé en lui? Allons donc! L’artiste s’était taillé sur les cinq continents un statut d’immortel et le conserve à jamais.

 

En passant devant sa belle verrière au métro Place-des-Arts, nombreux serons-nous à lui lever notre chapeau avec tout le respect du monde. C’est qu’il est quand même un peu parti et le Québec s’endeuille.

 

L’élégance et la précision de ses dessins, aux lignes et aux colorations de douceur, révélaient l’infinie délicatesse de leur auteur, qui combattait la destruction planétaire avec les armes de la courtoisie, de l’éloquence et de l’art salvateur.

 

Double oscarisé, d’abord avec sa délicieuse animation Crac en 1984, destin d’une chaise berçante québécoise à travers notre petite histoire et vrai bijou d’humour, puis pour L’homme qui plantait des arbres, Frédéric Back s’est toujours décrit comme un artiste engagé avant tout, voué à la sauvegarde des beautés du monde. Ses plus simples esquisses, ses gouaches, ses dessins de haute maîtrise, longtemps peints sur le motif, auront ouvert la voie à son oeuvre d’animation, qui lui valut la gloire.

 

Ce fils d’Alsace, né à Sarrebruck en 1924, un crayon à la main, d’un père percussionniste apprend chez des parents de sa mère l’été, à peindre les animaux de la ferme et la nature avec une extrême minutie. Puis, fuyant la menace avec sa famille à Paris, dès 1937, il entre à l’école de dessin de la rue Madame. La France sera bientôt occupée, et c’est à Rennes que sa mère l’inscrit au Musée des beaux-arts, où Mathurin Méheut devient son maître. La guerre le marquera à jamais et il croquera de son crayon les jours sombres puis la Libération.

 

Rêvant de grands espaces, il atterrit au Québec pour rejoindre une femme, Ghylaine Paquin, sa correspondante, appelée à devenir l’amour de sa vie et la mère de ses enfants. Dès 1948, à Montréal, il enseigne à l’École du meuble, succédant à Paul-Émile Borduas, puis à l’École des beaux-arts de Montréal. Reconnu partout comme bourreau de travail, méticuleux, passionné. Aux tout débuts de la télévision de Radio-Canada, en 1952, il s’y pose en pionnier, travaillant d’abord aux décors et aux dessins d’émissions éducatives.

 

Avec son hommage au Saint-Laurent dans Le fleuve aux grandes eaux (1993), son dernier film, se fermait derrière lui la porte du studio d’animation de Radio-Canada où Back a travaillé à partir de 1968 comme cinéaste maison, dessin après dessin, à la main, à l’ancienne. Ses bélugas et ses rorquals, ses Indiens en canot, ses conquérants en caravelles, mais aussi les pollueurs modernes qui mettaient sa faune en péril dans ce film, sont sortis de ce studio radiocanadien disparu.

 

«Dans l’animation, confiait-il au Devoir, on peut mettre de la fantaisie, tout en injectant nos idées et nos convictions dans des oeuvres accessibles à tous.» Son dessin fut pour lui une tribune éditoriale, «L’homme n’est pas le maître de la création, expliquait-il. On dépend d’éléments subtils, des insectes, des minuscules particules qui nous entourent, des animaux, des plantes qu’on sacrifie sans vergogne. Les chalutiers qui draguent le fond des mers sont d’une telle irresponsabilité! Les hommes, politiciens, industriels, forestiers, simples citoyens, agissent avec une inconséquence révoltante. Au moment de la Deuxième Guerre mondiale, je m’inquiétais des nappes d’huile laissées par les bateaux, qui polluaient les rives. Déjà, j’avais l’impression qu’il était bien tard... »

 

Membre fondateur de la Société pour vaincre la pollution et de la Société québécoise pour la défense des animaux, il militait partout. L’organisme Les artistes pour la paix, qui le comptait parmi ses membres, lui décerna en 2010 un prix hommage pour son implication sociale. Au Japon et en Chine, l’expositition qui lui est consacré, passe d’une ville à l’autre. En Asie, sa sensibilité esthétique et son message touchent des cordes très vibrantes.

 

Pour retrouver Back tout entier, reste à circuler sur son site Internet, créé en 2005, mine d’informations sur son oeuvre et sa vie. Aussi à travers le documentaire Frédéric Back: grandeur nature de Phil Comeau, présenté au dernier Festival international du film sur l’art, qui y remporta le prix du public. Entre les images, le cinéaste semble nous dire de ne jamais baisser les bras et de combattre pour cette planète-là, la sienne et la nôtre, afin de rendre possible, si faire se peut encore, tous les lendemains du monde.


 

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