Incandescente Gabrielle!

Gabrielle Marion-Rivard est une fontaine de joie de vivre si communicative qu’on a envie de s’asseoir longtemps aux côtés de la jeune femme, par pur plaisir, en l’écoutant parler des spectacles de gigue contemporaine auxquels elle participe, de sa mère musicienne, du piano et du chant entrés dans sa vie depuis belle lurette. Elle souffre du syndrome de Williams, avec une légère déficience intellectuelle, et possède un don pour la musique. Sa voix résonne de pureté au sein de la chorale Les Muses, premier cadre du film qui porte son nom : Gabrielle de Louise Archambault.
Lancé à Locarno sous les hourras, plébiscité et primé à Angoulême, le film a rebondi cette semaine au Festival de Toronto. « Il fallait qu’ils l’aiment pour le prendre quand même, car Toronto en désirait la primeur », révèle la cinéaste. De fait, ils l’aimaient… D’ailleurs, le TIFF, en 2005, décernait à son premier long métrage, Familia, le prix du meilleur film canadien.
Gabrielle est un film lumineux qui devrait trouver écho dans le coeur du grand public, touchant, humain, vivant, avec son propos de tolérance, de générosité, d’autonomie. Il suit une héroïne de tous les jours qui désire vivre pleinement, par-delà son handicap et l’avis des bien-pensants.
Au sein de la chorale Les Muses, Gabrielle et Martin (l’acteur Alexandre Landry) tombent amoureux. Or les adultes s’en mêlent, certains remplis de préjugés, s’entêtant à leur mettre des bâtons dans les roues. En contrepoint : les répétitions pour un important concert avec Robert Charlebois qui met la chorale en émoi.
Lumière sur les «invisibles»
La cinéaste voulait parler, en évitant les écueils du misérabilisme, du bonheur de ceux qu’elle nomme « les invisibles », devant qui les passants détournent souvent les yeux, les différents dotés pourtant d’un coeur et de rêves, comme tout un chacun. « J’avais vu une émission d’Enjeux sur une famille d’accueil pour personnes souffrant d’un handicap mental », explique Louise Archambault. Jean-Martin Lefebvre-Rivest, à sa tête, si humain, jamais paternaliste, l’a tellement inspirée qu’elle l’a transformé en personnage du film campé par Benoît Gouin.
De fil en aiguille, au hasard d’une représentation théâtrale où jouait Michael Nimbley, un des choristes du film, elle a découvert qu’il chantait avecLes Muses, un centre de formation artistique pour des personnes ayant un retard intellectuel. Louise Archambault a assisté aux répétitions, et Gabrielle y chantait. « Elle a l’oreille absolue et j’ai eu un coup de coeur. Gabrielle m’inspirait, mais le scénario était écrit et il fallait qu’elle joue un personnage.En aurait-elle la capacité ? Prendre une actrice, alors ? On y songeait. »
Et puis, et puis… Sa lumière et sa force lui ont assuré le rôle. « Le symptôme de Williams comporte un côté théâtral, une exubérance qui pouvaient sembler exagérés. Finalement, j’ai trouvé des ruses pour qu’elle apprenne son texte et ne surjoue pas. Mais huit mois avant le tournage, on composait déjà ensemble son personnage à travers des ateliers d’impro et d’interprétation. »
Petit problème : Louise ne trouvait personne pour incarner Martin, l’amoureux. « En audition, un des meilleurs candidats m’a dit avec une grande honnêteté :“Je suis autiste Asperger. Je ne peux tomber amoureux dans ce film.” » Alexandre Lamy est arrivé. « Un acteur, oui, mais dont le meilleur ami d’enfance avait le syndrome de Williams. Alors il était super à l’aise, s’est coulé dans le décor, capable de jouer les scènes d’intimité, respectant sa partenaire. »
Pas de tout repos, ce tournage. « Les grands plans d’ensemble de la chorale, oubliez ça. Il y en avait toujours un qui se curait le nez. Mathieu Laverdière s’est promené caméra à l’épaule, avec une grande vigilance, en captant de près des visages. Lumière naturelle participait au défi de capturer la spontanéité. Il fallait leur apprendre à ne pas regarder la caméra. On est carapacés dans la vie. Pas eux. C’est nous qui avons à apprendre de leur fraîcheur. Toute l’équipe s’est trouvée enrichie à leur contact. »
Quand vous demandez à Gabrielle Marion-Rivard comment se sont déroulées les scènes d’amour, elle déclare qu’au début, ça la stressait. « Mais Alexandre était tellement gentil. On a rendu la tendresse, la confiance de cette relation-là. Quand je devais pleurer. c’était encore plus facile. Dans la vie, je suis une vraie chialeuse. Aujourd’hui, je vois tout ça comme une belle aventure, avec des gens qui formaient une vraie famille. Et puis Charlebois, il était content de voir une gang vraiment cool. Ensuite, à Locarno, on a reçu une ovation extraordinaire. Oui, j’aimerais ça encore, jouer dans un film. »
L’authenticité des relations humaines
Depuis plusieurs années, après qu’il eut témoigné de l’envie de jouer de nouveau au cinéma, Charlebois n’avait reçu que des rôles mineurs dans des films quelconques. Cette fois, dans son élément, le chanteur de Lindberg irradie. « Par-delà le tournage, c’est l’authenticité des relations humaines qui l’a ému, précise la cinéaste. Certaines scènes sont improvisées, comme la première rencontre de Charlebois avec les choristes qu’on a filmée sans prévenir. Lui, il restait avec les gens après les prises, nous disait : “Wow ! je redécouvre mes propres chansons !” Moi-même Ordinaire, je ne l’entendrai plus de la même façon. Charlebois a vraiment livré quelque chose. D’ailleurs, il adore le film. »
Louise Archambault ne voulait pas créer des rôles caricaturaux pour les adultes dans l’entourage de Gabrielle et Martin. « Chacun a ses raisons, ses insécurités, même la mère de Martin, si contrôlante mais si déchirée. »
Pour l’équipe de micro_scope, la maison qui était déjà derrière son précédent long métrage, Familia, Louise Archambaut n’a que des bons mots. « Dès le début, ils ont cru au projet et m’ont donné carte blanche. » Les producteurs d’Incendies et de Monsieur Lazhar ont du flair. Le film est déjà vendu dans une quinzaine de pays européens et devrait trouver sa voie sur plusieurs territoires.
Louise Archambault est avec Gabrielle, mais également ailleurs. La réalisatrice, qui a fini le montage de la série télé La galère, développe le projet de film After the End,en anglais,écrit par Paul Gross. Ensuite viendra le film Tarmac, d’après le roman de Nicolas Dickner coécrit avec François Archambault. Sans oublier le projet de porter à l’écran le roman Il pleuvait des oiseaux de Jocelyne Saucier, en Abitibi : un livre qu’elle adore, une région qui l’inspire. Oui, on entendra souvent son nom au cours des prochaines années.