Cinéma - La muse de la Nouvelle Vague s'éteint

En 1958, Bernadette Lafont a captivé les cinéphiles dans Le beau Serge, le premier long métrage de Claude Chabrol. Cette image est tirée de la bande-annonce originale du film, qui a lancé la Nouvelle Vague.
Photo: www.criterion.com En 1958, Bernadette Lafont a captivé les cinéphiles dans Le beau Serge, le premier long métrage de Claude Chabrol. Cette image est tirée de la bande-annonce originale du film, qui a lancé la Nouvelle Vague.

Hospitalisée lundi à la suite d’un malaise, l’actrice française Bernadette Lafont est morte jeudi à Nîmes, la ville du Midi qui l’a vue naître en 1938. Toujours très active, elle enchaînait les tournages. Inoubliable dans des films marquants comme Le beau Serge de Claude Chabrol, La fiancée du pirate de Nelly Kaplan ou encore La maman et la putain de Jean Eustache, Bernadette Lafont n’avait pourtant jamais rêvé d’une carrière dans le cinéma.

C’est en effet à la danse que se destine d’abord cette jeune Gardoise qui, après avoir épousé à 18 ans l’acteur Gérard Blain, en divorce presque aussitôt pour mieux se remarier avec le sculpteur hongrois Diourka Medveczky, avec qui elle aura trois enfants : Pauline, Élisabeth et David. Installée à Paris, elle rencontre en 1957 un brillant critique de cinéma qui se rêve réalisateur. Il s’appelle François Truffaut. Inspiré par le mélange unique de gouaille et de sensualité de Bernadette Lafont, il tourne avec elle, à Nîmes, le court métrage Les mistons, qui paraît en 1958 et ouvre la voie au film Les 400 coups.

Impressionné, l’ami et confrère de Truffaut, Claude Chabrol, embauche la débutante pour son premier long métrage, Le beau Serge, qui met par ailleurs en vedette l’ex-conjoint de Bernadette Lafont, Gérard Blain. Récit d’un jeune citadin souffrant qui revient dans son village et tente de sauver un ami de la déchéance, cette étude de mœurs ne ressemble à rien. La composition de Bernadette Lafont, à la fois sauvage et aguicheuse, d’un naturel désarmant, captive. Le film sort également en 1958. Deux carrières sont lancées, ainsi qu’un mouvement cinématographique révolutionnaire : la Nouvelle Vague.

La décade prodigieuse

Claude Chabrol retrouve sa muse dès l’année suivante dans le suspense mâtiné d’humour et d’érotisme À double tour. Bernadette Lafont y joue la bonne opiniâtre d’une maisonnée bourgeoise, la première d’une longue série visitée par l’auteur. Les bonnes femmes et Les godelureaux suivent en 1960 et en 1961. Durant cette décennie, Bernadette Lafont tourne dans pas moins de 25 longs métrages, parfois le temps d’une participation amicale, comme dans Compartiment tueurs, de Costa-Gavras. Mauro Bologni, Roger Vadim, Édouard Molinaro, Georges Lautner, Jean Aurel et Louis Malle sont au nombre des cinéastes qui la sollicitent.

En 1969, elle connaît un succès retentissant grâce au film La fiancée du pirate. Dans cette comédie satirique de Nelly Kaplan, Bernadette Lafont incarne une jeune orpheline qui use de ses charmes et de son esprit pour se venger des habitants hypocrites d’une petite ville de province. Barbara chante Moi, je m’balance pour l’occasion.

1972 marque les retrouvailles de Bernadette Lafont et de François Truffaut, qui monte pour elle la comédie noire Une belle fille comme moi. Face au naïf André Dussolier venu l’interviewer en prison où elle purge une peine pour double meurtre, elle se révèle une charmante sociopathe. L’année d’après sort La maman et la putain. À la fois triangle amoureux et allégorie de la confusion post-Mai 68, le film-fleuve de Jean Eustache prend par surprise un public cinéphile ébloui.

Le drame, l’absence et le retour

Alors que le rythme de travail de Bernadette Lafont ne fléchit pas, la tragédie frappe. Pauline Lafont, sa fille devenue actrice, disparaît au cours d’une randonnée en solitaire dans les Cévennes en 1987. Un berger découvre son corps plusieurs mois plus tard au fond du ravin où la jeune femme a abouti après une chute de 10 mètres. Claude Chabrol avait dirigé la fille dans le film Poulet au vinaigre (1984) et la mère dans la suite, Inspecteur Lavardin (1985).

Par la suite, elle ralentit un peu la cadence — trois films par année en moyenne. On fait volontiers appel à elle pour des rôles de soutien colorés. Des premiers rôles intéressants continuent néanmoins de lui être proposés, comme cette grand-mère qui kidnappe ses petits-enfants dans un accès de désarroi existentiel dans Les petites vacances, d’Olivier Peyon. La vénérable comédienne leur fait chaque fois honneur. En 2013, la comédie Paulette, dans laquelle elle interprète une vieille dame très indigne qui se met au trafic du cannabis, rencontre un vif succès populaire. Elle devait entamer sous peu le tournage de la comédie familiale Les vacances du petit Nicolas dans sa région natale.
 

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À voir: une entrevue de Bernadette Lafond sur le plateau de Thierry Ardisson en 2002.

Également:

Bernadette Lafond qui chante la chanson-thème du film Une belle fille comme moi à la télé en 1972




Un extrait du film La maman et la putain, 1973


 

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