Lumière sur des guerriers de l’ombre
Tuer, torturer, au nom de la raison d’État et pour la sécurité du peuple d’Israël : ce fut leur boulot quotidien. Chacun leur tour, ils ont traqué des terroristes, soudoyé des Palestiniens dans les territoires occupés, alerté les politiciens des dangers qui menaçaient leurs concitoyens, ou leur propre personne. Ils ne furent pas toujours écoutés, ou ont suivi des ordres qu’ils jugeaient parfois stupides et suicidaires.
Six anciens dirigeants de l’agence de services secrets israéliens Shin Bet déballent leur sac devant la caméra de Dror Moreh, un ancien directeur photo devenu documentariste, grand admirateur d’Errol Morris, une fascination évidente devant The Gatekeepers. Son approche est aussi simple que percutante : une suite d’interviews au ton jamais complaisant, parfois même corsé, le tout entrecoupé d’images d’archives et d’actualités, le plus souvent des opérations militaires ou secrètes. Avec ou sans bavures…
De la guerre des Six Jours en 1967 à la seconde intifada en 2000 en passant par le tristement célèbre massacre du « bus 300 » en 1980, les têtes fortes de cette organisation opaque jouent cette fois la carte de la transparence : sur leurs méthodes, les dommages collatéraux (les victimes civiles, et innocentes, furent parfois nombreuses) et, chose inhabituelle chez ces ex-guerriers de l’ombre, leurs réflexions politiques.
Car c’est là que réside la force de ce film académique dans sa forme mais audacieux dans son propos : non seulement jouent-ils franc jeu sur le caractère parfois impitoyable de leur travail, mais ils obligent leurs compatriotes à prendre conscience du prix à payer… pour le futur de leur pays. Partisans du dialogue avec les Palestiniens, et tous ceux impliqués dans la poudrière du Moyen-Orient (l’un d’eux souhaite même inclure le président iranien Ahmadinejad !), ils sont convaincus que plus d’assassinats ciblés de terroristes n’équivaut pas à plus de sécurité. Encore traumatisés par le meurtre du premier ministre Yitzhak Rabin en novembre 1995 par un extrémiste orthodoxe, ils envisagent l’avenir d’Israël avec la loupe la plus pessimiste. Car l’ennemi est aussi de leur côté de la frontière, et ils craignent d’avoir contribué à sa fabrication.
Collaborateur
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