Les saveurs du palais mises en lumière

Catherine Frot dit : « Je suis un peu rustique, vous savez. » Ça collait à son rôle. Elle est aimée autant en province qu’à Paris. D’où son succès dans tout l’Hexagone. L’actrice a eu beau jouer les bourgeoises à qui mieux mieux, fréquenter le registre comique - son collier de chien dans Un air de famille demeure emblématique -, incarner la dame en rose dans Odette Toulemonde, et les âmes sombres dans Vipère au poing et L’empreinte de l’ange, l’actrice française l’avoue : « C’est dans Les saveurs du palais que j’ai trouvé un rôle unissant légèreté, sérieux, inquiétude. Un rôle plein, résume-t-elle, pour un film tonique. »
À l’origine : l’histoire d’une vraie cuisinière : Danièle Mazet-Delpeuch, transplantée de son Périgord pour prendre en charge les repas privés du président de la République, en l’occurrence François Mitterrand. Il voulait de bons produits et une cuisine bourgeoise savoureuse et sans flaflas. Pionnière (première femme cuisinière à l’Élysée), nomade ayant aussi travaillé dans l’Antarctique, toujours par monts et vaux, avec sa ferme familiale périgourdine qui lui sert d’ancrage et d’école de cuisine. « Ma base », dit-elle. La dame a écrit plus tard un livre : Mes carnets de cuisine du Périgord à L’Élysée.
Le producteur Étienne Comar brûlait de faire un film sur la cuisine depuis longtemps, art national en douce France. Il avait lu un portrait de Danièle Mazet-Delpeuch dans Le Monde, la rencontra dans sa ferme, fut fasciné par elle. Et voilà ! Avant même de dégoter un cinéaste, il savait quelle actrice pouvait tenir le rôle : Catherine Frot. Qui d’autre ? Pour son côté terrien, sa façon d’occuper l’espace.
Entre rêve et croc-en-jambe
Place donc au film Les saveurs du palais de Christian Vincent (le cinéaste de La discrète), coscénarisé avec Étienne Comar, inspiré de l’aventure présidentielle de la cuisinière, avec des changements çà et là. « Mais il a gardé l’esprit de ma relation avec le président, cette réserve et cette courtoisie, précise Danièle Mazet-Delpeuch. Quand il prenait le temps, parler avec lui était passionnant. » Car Mitterrand connaissait bien des choses, la cuisine aussi. Elle concocta deux ans et demi des plats pour lui et ses invités. « J’étais dans un rêve, dit-elle, mais on a déstabilisé la cuisinière que j’étais ». Les gens de la cuisine centrale, qui avaient perdu à son profit le contrat des repas privés, lui faisaient des misères.
Le modèle et son interprète réunies à Montréal s’adorent manifestement. « Danièle est fantastique, sensible, généreuse, déterminée », assure Catherine Frot. « N’est-ce pas qu’elle est magnifique, Catherine ! s’exclame Danièle. Elle a eu vraiment envie d’entrer dans le rôle. Ça se voit. »
« Je ne suis pas une grande cuisinière », précise l’actrice. Pas plus qu’elle n’était pianiste à l’heure de jouer La tourneuse de pages. « Mais j’ai passé une dizaine de jours avec Danièle dans sa ferme. On a fait la cuisine ensemble. Le chou farci au saumon du film, je sais le faire aujourd’hui. Tout est question de gestes. Je manipule, je suis toujours en mouvement dans Les saveurs du palais. Mon personnage d’Hortense n’est pas une contemplative. »
L’actrice a aimé la façon dont Christian Vincent a présenté les différents plats, hommage à la cuisine française. Le film, avec ses truffes et ses saint-honorés, donne faim. « Le président, il est là-haut, ajoute l’interprète. Hortense est en bas dans la cuisine. Au milieu, on trouve les courtisans souvent jaloux qui grouillent et grenouillent, un univers d’hommes, comme sous la monarchie. Dès son arrivée au palais, le ver était dans la pomme. »
Catherine Frot se dit ravie aussi d’avoir eu comme partenaire, en président, l’écrivain académicien et philosophe Jean d’Ormesson, pour la première fois à l’écran. « Il n’est pas un acteur, mais il est formidable, curieux, et il porte en lui tout son passé et le symbole de la vieille France. Le dernier jour de son mandat, Mitterrand l’avait d’ailleurs invité à l’Élysée. »
À l’Élysée, ils y ont tourné trois jours. « C’était durant le Sommet du G20. Il n’y avait personne au palais, mais la cuisine fut reconstituée en studio. Nous avons joué aussi dans des hôtels particuliers, qui sont de vrais petits Élysée. »
Le film aborde un autre segment de la vie de la cuisinière : son séjour en Antarctique après l’épisode de l’Élysée, à travers un volet croisé, tourné en Islande. « Il y a une fête (imaginaire) remplie d’humour potache. C’est vraiment drôle », précise l’actrice, qui apprécie le mariage des tons du cinéaste.
Catherine Frot a enchaîné les films, Bowling de Marie-Castille Mention-Schaar (décevant), Associés contre le crime de Pascal Thomas, au scénario échevelé. Mieux vaut Les saveurs du palais. Elle a joué au théâtre et reprend bientôt sur les planches de l’Atelier le magnifique rôle de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett. « Un texte génial ! J’en ai rêvé dix ans avant de le jouer. »