Rebelle dans la course aux Oscar - Une troisième sélection québécoise en trois ans

Et voilà ! Le Québec, pour une troisième année consécutive, se rend aux Oscar. Après Incendies de Denis Villeneuve (en 2001) et Monsieur Lazhar de Philippe Falardeau (2012), c’est au tour de Kim Nguyen d’entrer avec Rebelle dans la course au meilleur film en langue étrangère. On ne parle plus de hasard, mais d’une cinématographie québécoise qui s’impose brillamment sur la scène internationale. Les trois films ont comme point commun d’ouvrir des portes sur d’autres cultures. Rebelle, tourné au Congo, donnant la vedette à la jeune Rachel Mwanza (Prix d’interprétation à Berlin pour ce rôle), aborde avec réalisme et poésie le sort des enfants soldats. (Nota bene : le DVD du film est sur le marché.)
Kim Nguyen et les producteurs d’Item 7, Pierre Even et Marie-Claude Poulin, se trouvaient sous pression depuis que Rebelle avait été présélectionné avec huit autres films. « J’étais nerveux, confesse le cinéaste. On va là pour gagner, tout en se sentant David contre Goliath. Mais parfois David gagne… »
Le grand favori de cette catégorie est le bouleversant Amour de Michael Haneke (Palme d’or à Cannes), qui représente l’Autriche. « Mais le fait qu’il se retrouve dans quatre autres catégories peut nous aider », estime Kim Nguyen. Ça peut aussi lui nuire, tant Amour gagne en visibilité avec ces cinq nominations. « Prochaine étape : les membres de l’Académie doivent voir les cinq films en langue étrangère de la course. Il faut leur montrer le nôtre dans l’espoir qu’ils soutiennent Rebelle », précise Pierre Even. Les autres candidats sont Amour, donc, le troublant No chilien, le fort beau A Royal Affair du Danemark et le norvégien Kon-Tiki (pas vu).
Kim Nguyen et ses producteurs fouleront le tapis rouge hollywoodien en compagnie, espèrent-ils, de Rachel Mwanza, actuellement au Congo.
Par ailleurs, le cinéaste, animateur jeunesse et acteur québécois Yan England, qui a écrit, réalisé et produit le film Henry, le voit sélectionné dans la catégorie court-métrage de fiction, nouvelle qu’il a apprise avec une touchante émotion. Ariel Nasr, originaire d’Halifax, coréalisateur de Buzkashi Boys, atterrit dans la même section que Yan England. Quant au Canadien Mychael Danna, il roule pour la meilleure musique et la meilleure chanson originale dans Life of Pi d’Ang Lee, tiré du roman de notre compatriote Yann Martel. Voilà pour notre cour.
Lincoln en tête
Les Oscar ne roulent pas toujours à l’objectivité. Parfois au patriotisme. Ainsi, Lincoln de Steven Spielberg (déjà oscarisé pour Schindler’s List), avec ses 12 nominations, domine le peloton et devrait récolter le pactole à la remise des prix : meilleur film, meilleur cinéaste, meilleur acteur (Daniel Day Lewis, qu’on a pourtant vu meilleur), etc. Ce film lourd, surdialogué et instructif, ouvrant la page d’histoire qui abolit l’esclavage, très apprécié aux États-Unis, l’est moins à l’étranger. Dix citations pour Life of Pi d’Ang Lee, qui devrait du moins récolter des lauriers techniques pour ses prouesses en 3D. Huit fois nommé, Silver Linings Playbook, comédie de David O. Russel, quand même facile, pourrait valoir à son interprète Bradley Cooper la statuette du meilleur acteur. Quant aux Misérables chantants de Tom Hooper, il monte plus haut que ce qu’il mérite (huit nominations).
On se félicite de retrouver Argo de Ben Affleck dans sept catégories. Quant à Django Unchained, grand western de Quentin Tarantino, il est cinq fois nommé. Christoph Waltz (oscarisé pour Inglorious Basterds) pourrait gagner encore la statuette du meilleur acteur de soutien. Il la dispute à De Niro pour sa prestation dans Silver Linings Playbook. Dans cette section, Javier Bardem, inoubliable en vilain efféminé de Skyfall, le grand James Bond de Sam Mendes, manque injustement à l’appel.
Une belle surprise au menu : Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin est présent dans les grosses cases, dont meilleur film, meilleur cinéaste, etc. Ce film au charme extraordinaire, réalisé et bricolé par des débutants en Louisiane, avait reçu la Caméra d’or à Cannes et le Grand Prix à Sundance. Sa vedette, la merveilleuse Quvenzhané Wallis, est la plus jeune candidate (neuf ans) à briguer le titre de meilleure actrice principale. La voici aux côtés de la doyenne des candidates, Emmanuelle Riva, 85 ans (l’inoubliable interprète d’Hiroshima mon amour), pour son rôle d’octogénaire malade dans Amour de Haneke. Naomi Watts, en blessée du tsunami dans The Impossible, est aussi une rivale de taille, tout comme Jessica Chastain dans Zero Dark Thirty.
Le fait qu’Amour se positionne dans cinq catégories causa hier bonheur et émoi : meilleur film en langue étrangère, aussi meilleur film tout court, meilleur réalisateur, meilleure actrice, meilleur scénario original. Un baume pour la France, qui l’a coproduit avec l’Autriche et l’Allemagne. Son propre candidat pour l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, le mégasuccès Intouchables, a été écarté. L’Hexagone avait à tort misé sur lui plutôt que sur De rouille et d’os, croyant que ce film d’Audiard se positionnerait ailleurs. Marion Cotillard, oscarisée pour La vie en rose, pressentie comme meilleure actrice, repart bredouille.
Côté déceptions : Kathryn Bigelow avec son exceptionnel Zero Dark Thirty, sur la traque de Ben Laden, attendue en haut du peloton, n’est que cinq fois citée, entre autres pour le meilleur film et la meilleure actrice, mais non à la réalisation, prix qu’elle avait remporté en 2009 pour le moins achevé The Hurt Locker. La polémique entourant la torture à l’écran y est sans doute pour quelque chose…
Hélas ! The Master de Paul Thomas Anderson, un des sommets américains de l’année, n’est cité qu’à l’interprétation : meilleur acteur pour Joaquin Phoenix (qui mériterait un laurier qui lui échappera sans doute), meilleurs rôles de soutien pour Philip Seymour Hoffman et Amy Adams (laquelle pourrait s’incliner au profit d’Helen Hunt dans The Sessions ou d’Anne Hathaway dans Les misérables). Phoenix avait tenu des propos qui avaient dérangé, contre le cirque des Oscar notamment, et The Master était retombé dans les limbes.
La cérémonie des 85es Oscar se déroulera le 24 février au Dolby Theater d’Hollywood, officiée par Seth McFarlane.
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La bande-annonce du film Rebelle, de Kim Nguyen
Yan England, dont le court-métrage est en nomination aux Oscar, a appris avec émotion la nouvelle au micro de CKOI.