Salman Rushdie fait son cinéma

La réalisatrice Deepa Mehta et l’écrivain Salman Rushdie à la première du film Midnight’s Children lors du 37e Festival international du film de Toronto.
Photo: La Presse canadienne (photo) Nathan Denette La réalisatrice Deepa Mehta et l’écrivain Salman Rushdie à la première du film Midnight’s Children lors du 37e Festival international du film de Toronto.

« Dans le silence revenu, je retourne à mes feuilles qui ont une petite odeur de safran, bien décidé à achever le récit qu’hier j’ai laissé en suspens, exactement comme Shéhérazade — dont la survie dépendait qu’elle laisse le prince Shahryar dévoré de curiosité — faisait nuit après nuit ! », écrivait Salman Rushdie dans Les enfants du silence, immense succès de librairie, couronné en 1981 du Booker Prize. Pour tout dire, ce roman fut aussi nommé « Booker of bookers » en 1993 et « Best of the Bookers » en 2008, lors du 25e anniversaire de cette distinction. « Ça devient ridicule, tous ces Bookers, ironise Rushdie. J’ai même reçu des cartes de remerciement anonymes de nombreux pirates qui avaient distribué mon livre en douce. J’avoue en avoir été flatté. »

C’est au Festival de Toronto que l’écrivain d’origine indienne, domicilié à New York, célèbre pour la fatwa que lança sur sa tête l’ayatollah Khomeini après la parution de ses Versets sataniques, recevait la presse en septembre dernier.


Les enfants du silence (Midnight’s Children), chronique fantastique de l’Inde du XXe siècle, à travers le destin d’enfants nés à minuit le jour de l’indépendance du pays, le 15 août 1947, réinventait la littérature anglo-indienne sur fond de réalisme magique. Or voici que l’Indo-Canadienne Deepa Mehta l’a porté à l’écran.


« Je détenais les droits et ça s’est passé très vite, explique Rushdie. On est allés souper il y a quatre ans à Toronto. Elle m’a demandé si elle pouvait adapter le roman au cinéma. J’ai dit oui, on le fera ensemble, et j’ai écrit le scénario. Je fais aussi la voix hors champ. »


Les enfants du silence est lié à sa propre enfance. Lui-même est né à Bombay (aujourd’hui Mumbai) en 1947, mais pas le jour de l’indépendance. « Alors, je n’ai pas de dons magiques, dit-il en rigolant. Mais la maison de mon enfance est la même. Le garçon va à mon école. Le grand-père dans les deux cas est médecin. J’ai apporté des éléments fantastiques. »


Il assure que, si le film est une adaptation du roman, un proche, un cousin, il n’est pas le livre pour autant, si longtemps jugé inadaptable. « Deepa et moi étions sur la même longueur d’onde. Nos deux listes de scènes à conserver à tout prix dans le film coïncidaient. Mais il fallait couper aussi dans le gras, sacrifier des personnages, des pans entiers. Je crois pourtant que l’essentiel est resté. Quant à la distribution, nous y avons beaucoup travaillé ensemble. Deepa m’a fait découvrir Satya Bhabha pour le rôle principal de Saleem. À la longue, nous avons écarté les grandes stars de Bollywood pour privilégier des interprètes capables de travailler en groupe, poussant à la même roue. »


Déjà, à la fin des années 90, la BBC avait voulu adapter Midnight’s Children en minisérie, mais la communauté musulmane du Sri Lanka avait protesté et le projet était tombé à l’eau.


De fait, rien n’est simple quand Rushdie est de la partie. Il s’était pourtant fait tout petit au cours du tournage, occupé par ailleurs à rédiger son autobiographique Joseph Anton. Le film tenait plateau dans un coin gardé secret du Sri Lanka. « Mais quelque chose est arrivé. L’ambassadeur de l’Iran aurait demandé au Sri Lanka d’arrêter le tournage, sous prétexte qu’était adapté un de mes livres. Il s’est interrompu durant deux jours. Moi-même, je me suis démené pendant trois mois pour renverser la vapeur, songeant même à déplacer le plateau en Afrique du Sud, mais le président du Sri Lanka s’est tenu debout et nous a appuyés. Il n’y eut plus d’incidents. »


Le titre du film se cachait sous celui de Winds of Change, les acteurs travaillaient sous pseudonymes et les journalistes se voyaient détourner ailleurs. Mais la visite de Rushdie sur le plateau, prévue pour le 30e anniversaire de la publication du roman, fut remplacée par une conversation sur Skype. Il faut ce qu’il faut. « C’est dur de faire un film, conclut l’écrivain. On n’avait pas de gros effets spéciaux pour recréer la magie des enfants fantômes, mais ça fonctionne tout de même. J’aime le film. »

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