Lentement la beauté

Les escapades dans les splendeurs du canton de Vaud en Suisse, parfois éloquentes sur le profil de « magicienne » de la fillette, forment le cœur de ce film qui n’a aucune ambition pédagogique.
Hugo Latulippe s’affiche à la fois comme un cinéaste pragmatique et idéaliste. La révolution, selon lui, ça commence aussi bien dans la campagne québécoise (Bacon) qu’au pied de l’Himalaya (Ce qu’il reste de nous) ou encore dans un petit studio où plus d’une cinquantaine d’intellectuels et de militants défilent, la langue bien pendue (République : un abécédaire populaire).
Même si ses films sont toujours très personnels, aucun ne l’est autant qu’Alphée des étoiles, une lettre d’amour d’un père à sa fille « vite devenue une lettre au monde sur ma fille pour explorer cette éternelle question de la place des handicapés dans la société ». Au milieu d’un café animé du Plateau-Mont-Royal, Hugo Latulippe ne cachait pas sa fierté devant ce nouveau rejeton qu’il lance jeudi soir au Festival du nouveau cinéma avant de prendre l’affiche vendredi à Montréal et à Québec. Car ce film intimiste est aussi un portrait impressionniste d’une enfant qui ne passe jamais inaperçue.
Alphée affiche les stigmates d’une maladie génétique rare qui affecte son développement, faisant en sorte qu’« elle fait tout plus lentement que tout le monde », résume son papa. « Mais, poursuit-il dans un élan enthousiaste, elle a une version légère du syndrome, bien plus que tout ce que les spécialistes du Québec et de la Suisse ont observé jusqu’ici. Dans sa malchance, elle a une chance incroyable. » Et qu’est-ce qui la distingue encore ? « Une force exceptionnelle, un bonheur contagieux et une grande part de magie », affirme sans détour Hugo Latulippe.
C’est dans un décor paradisiaque qu’Alphée déploie toutes ces qualités, profitant à pleins poumons des splendeurs de la Suisse alors que sa famille est installée là-bas pour un an. Sa mère, la sociologue et militante écologiste Laure Waridel, originaire de ce pays, y retournait pour étudier à l’Université de Genève ; le père, leur fils Colin et Alphée ont suivi. Pour le cinéaste, c’était l’occasion de « vérifier une intuition », celle de sortir du tourbillon du quotidien pour se consacrer entièrement au développement de sa fille, une tâche parfois ardue, et surtout imprévisible, qu’il scrute avec sa caméra entre deux promenades en montagne et autres excursions dans les splendeurs du canton de Vaud.
Ces escapades, parfois éloquentes sur le profil de « magicienne » de la fillette, forment le cœur de ce film qui n’a aucune ambition pédagogique ; on en saura peu sur la maladie, et encore moins sur la manière dont son frère et sa mère jonglent avec cette situation. « Un film sur des enfants malades et des parents qui luttent, j’en ai vu plusieurs… et je n’avais pas envie de le refaire, précise le cinéaste. Je voulais éviter le documentaire “ cartésien ”. Avec la monteuse Annie Jean, notre première grille de choix pour les scènes, c’était la profondeur, la part de mystère, les zones d’ombres. Il fallait à tout cela une certaine complexité parce que sinon, ce n’était pas intéressant. » Et il faut voir la petite Alphée faire la lecture… aux arbres pour comprendre que cette enfant-là n’a vraiment peur de rien !
Devant cette petite star que tous les spectateurs voudront adopter avant la fin de la projection, on ne peut s’empêcher de penser à l’évolution de sa maladie, certes, mais aussi à son avenir hors de ce petit clan familial si bien tricoté. « Il y aura toujours des gens inconfortables face à la maladie, à la différence, et certains moins subtils que d’autres dans leur manière de l’exprimer. Alphée va devoir faire face à ça toute sa vie, et nous aussi. C’est d’ailleurs ma plus grande peur : que son regard se voile parce qu’elle a pris conscience de sa différence, et que cela puisse la diminuer dans sa confiance. Sa beauté, c’est d’être capable de transcender sa différence. »
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Collaborateur